L’illusion d’une électricité 100 % renouvelable

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Sébastien Balibar (Physicien au département de physique de l’École Normale Supérieure)
 02/12/15 


Accepteriez-vous qu’on installe 50 000 éoliennes géantes donc, en moyenne, une tous les 2 kilomètres sur la moitié de la France ? Et un rideau d’autres éoliennes le long de tout le littoral nord et ouest ? Et des panneaux photovoltaïques sur toutes les toitures, terrasses et champs en friche ? Ou que l’électricité ne soit pas disponible 24 h sur 24 ? Non ? 


Voilà pourtant ce que l’Agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) envisage pour 2050 dans son rapport « Un mix électrique 100% renouvelable ? », publié le 22 octobre.

 L’Ademe a beau indiquer qu’il s’agit d’un exercice de calcul, nombreux sont ceux qui l’ont déjà pris pour une proposition de scénario réaliste. Quelques chiffres suffisent pourtant à démontrer le contraire. Quel est le contexte ? C’est évidemment celui des négociations internationales sur le climat et de la nécessité de « décarboner l’énergie » en se débarrassant des combustibles fossiles. Pourtant, l’électricité française est déjà décarbonée puisqu’elle est issue pour 3 % seulement de combustibles fossiles, le reste provenant des centrales nucléaires (77 %) et des barrages hydroélectriques (12 %). Il doit donc y avoir , à l’origine de ce rapport, une autre motivation. 


Plus de besoins en 2050 

Au départ de son calcul, l’Ademe émet l’hypothèse pour le moins contestable que la production d’électricité en France pourrait diminuer . Pour le justifier, elle ignore volontairement que l’électricité ne représente que le quart de l’énergie consommée en France: La majeure partie est du pétrole et du gaz brûlés dans l’habitat (logements et lieux de travail), les transports (voitures , camions, etc.) et  l’industrie. Il faudra bien remplacer, en effet, une grande partie de cette énergie fossile par de l’électricité propre.À moins d’ignorer le changement climatique, ce n’est pas moins d’électricité qu’il nous faudra produire en 2050, c’est beaucoup plus, avec des bâtiments mieux isolés, de très nombreux véhicules électriques, et probablement 10 millions d’habitants en plus. Le projet Négatep de l’association Sauvons le climat propose raisonnablement d’augmenter la production française d’électricité à 840 TWh par an en 2050. Dans son « cas de référence », l’Ademe prévoit une réduction à 482 TWh au lieu de 550 aujourd’hui.

Et quelles sont ces sources d’énergie « renouvelable » dont l’Ademe parle ? Il y en a trois principales: Les barrages hydroélectriques, les éoliennes et le photovoltaïque. La production hydroélectrique est stable, et même adaptable en fonction de la demande. Elle est particulièrement utile pour amortir le pic de consommation du début de soirée, ou lorsque le vent s’arrête ou que le soleil se cache.

En effet, même si l’éolien et le photovoltaïque ne représentent aujourd’hui que 3 % de la production totale, leur intermittence suffit à introduire des fluctuations qu’il faut compenser. Les éoliennes s’arrêtent si le vent ne dépasse pas 10 à 20 km/h, et il faut les arrêter au-delà de 90 km/h. Une éolienne de 125 mètres de haut fournit une puissance de 3 mégawatts dans des conditions idéales, mais cinq fois moins en moyenne. Même à l’échelle de toute l’Europe, la production éolienne ne cesse de fluctuer. Ajouter des panneaux photovoltaïques qui ne produisent rien la nuit ne résout pas le problème.


Les énergies intermittentes 
Or les renouvelables que l’Ademe envisage d’installer partout sont précisément ces énergies intermittentes, l’éolien et le photovoltaïque. Nos voisins allemands ont peu de barrages. Lorsque leurs 13 % d’énergies intermittentes les abandonnent, ils importent l’électricité des centrales nucléaires françaises et font turbiner les barrages suisses, et comme cela ne suffit pas, ils doivent allumer les nouvelles centrales thermiques qu’ils ont construites à cause de l’intermittence de leurs éoliennes et qui brûlent du charbon, ou pire ce « lignite » particulièrement polluant dont ils sont les premiers producteurs au monde . Et voilà pourquoi, tant qu’on ne saura pas stocker l’électricité en quantités suffisantes, les Allemands continueront d’émettre presque deux fois plus de CO2 que les Français. 

Dans la suite de son calcul, l’Ademe tire aux limites extrêmes qu’on peut imaginer les paramètres que sont les rendements, les capacités du réseau, les fluctuations météorologiques, le pilotage de la consommation, les coûts et l’acceptabilité. 

Par exemple, elle considère que le rendement des éoliennes pourrait être amélioré de 50 % en 2050. Et que les coûts des renouvelables pourraient être divisés par 2, 3 ou même 5 pour aboutir néanmoins... à un doublement du prix de l’électricité. Quant aux fluctuations météorologiques, imaginons une semaine d’hiver particulièrement froide. La France aurait besoin, le soir, d’une puissance d’au moins 100 GW. Sans vent ni soleil, donc avec une chute de 70 % de la production d’électricité (dans le scénario de l’Ademe), comment éviter un black-out qui s’étendrait à toute une Europe soumise depuis plusieurs jours aux mêmes conditions météorologiques ? 

L’Ademe envisage de doubler notre capacité de stockage électrique, alors qu’il n’y a plus de place pour de nouveaux barrages. Même en y ajoutant un développement considérable de la méthanation de la biomasse, l’Ademe ne prévoit que 36 GW à déstocker en cas de besoin. Le risque de black-out serait considérable ! À force de tirer les paramètres bien au-delà du raisonnable, l’Ademe finit par démontrer... le contraire de ce qu’elle prétend: 100% d’électricité renouvelable, c’est impossible. 

Mais alors, à quoi bon cet exercice ? À la lecture de ce rapport, on réalise que l’Ademe ne prononce jamais le mot « nucléaire », comme si la véritable motivation était d’en justifier l’abandon. Si tel est bien le cas, elle ne m’a pas convaincu. 

Sébastien Balibar est l’auteur de Climat : Y voir clair pour agir (Le Pommier, 200 pages, 17 euros)

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