Le projet fou du Canada pour exporter son pétrole par l’Arctique

ANDREA BAROLINI (REPORTERRE)
mercredi 19 novembre 2014










Mardi 18 novembre, le Sénat états-unien a rejeté l’autorisation de l’oléoduc Keystone, qui est censé acheminer vers le Texas le pétrole des sables bitumeux du Canada. Celui-ci cherche désespérément à exporter cette huile ultra-polluante. Dernière idée folle : un gigantesque oléoduc de plus de 2.400 km, vers l’océan Arctique, à destination de l’Europe.


Les élus albertains ont présenté fin août un rapport (« An Arctic Energy Gateway for Alberta », daté en réalité de 2013), afin de convaincre le gouvernement fédéral qu’il s’agit d’une très bonne idée. L’étude conclut qu’il serait possible de faire transiter le pétrole extrait près de la rivière Athabasca, à Fort McMurray, par un immense oléoduc qui traverserait les territoires du Nord-Ouest le long du fleuve Mackenzie, jusqu’au port arctique de Tuktoyaktuk.

Ensuite, le pétrole serait transbordé sur des navires qui devraient traverser l’océan afin de gagner l’Europe en exploitant, en été, les routes maritimes ouvertes par la fonte des glaces causée par le réchauffement climatique. Et en hiver, quand la mer est glacée ? Rien de plus facile, d’après les idées avancées (page 13) par les administrateurs canadiens : on se dotera d’une flotte de brise-glaces ou... de sous-marins nucléaires !



- Tracé de l’Arctic Energy Gateway, image du rapport. -

Une zone à très haut risque


Le projet, dénoncent les écologistes canadiens, est extrêmement dangereux pour l’environnement. Un éventuel accident dans un oléoduc en région arctique serait désastreux, explique à Reporterre Hannah McKinnon, experte de l’association Oil Change International :

« Une fuite de pétrole est toujours dramatique. Aux États-Unis, le nettoyage après la fuite dans la rivière Kalamazoo, au Michigan, n’a pas encore été terminé, tandis que le prix de la bonification dépasse désormais le milliard de dollars. Cela signifie qu’il n’y a aucun lieu où on peut garantir la sécurité d’un oléoduc. Si on imagine un accident dans une région vulnérable comme l’Arctique, où les températures, les conditions météorologiques et d’accès sont extrêmement difficiles, on comprend facilement que cela provoquerait une véritable catastrophe ».

Même le rapport publié par le gouvernement de la province d’Alberta admet (page 110) qu’une fuite serait tragique. Ils disent comprendre les risques, mais ils insistent.

Une industrie aux abois


Pourquoi ? « Et bien, parce qu’ils sont désespérés. L’Arctic Énergy Gateway est un bluff. C’est la tentative de l’industrie de démontrer qu’ils ont d’autres options après l’échec des autres projets avancés », observe McKinnon.

« L’industrie, ajoute Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace Canada, a besoin de nouveaux oléoducs car des compagnies comme Total et Statoil ont déjà annoncé qu’elles vont retirer leurs investissements de certains projets de sables bitumineux ».


- Vue aérienne de la mine de sables bitumineux de Suncor’s Énergy à Steepbank (juin 2014) -



Les géants du pétrole commencent en effet à douter du succès des programmes canadiens. Le gouvernement nord-américain et le lobby du pétrole ont déjà essayé de s’ouvrir des voies dans plusieurs directions : celle de l’oléoduc arctique n’est donc qu’un « plan E », lancé car jusqu’à maintenant, tous les oléoducs proposés ont été submergés de critiques de la part des citoyens, des associations et même d’une partie des institutions.

Opposition ferme aux précédents projets



Un premier projet pointait vers l’Ouest : celui de l’oléoduc du Northern Gateway, qui sur une distance de 1.177 km aurait dû lier les gisements de sables bitumineux de Bruderheim (Alberta) à Kitimat, en Colombie-Britannique, ville bordées par les eaux du Pacifique.

La réaction des groupes autochtones avait été immédiate. En 2010, soixante-six communautés indiennes, dont de nombreux habitants des terres qui auraient été traversées par l’oléoduc, ont signé une déclaration conjointe d’opposition. Plusieurs associations environnementalistes se sont également déclarées opposées au projet, et en juin des centaines de scientifiques ont demandé au gouvernement de rejeter l’idée.

Les critiques et les luttes ont été efficaces : le projet est actuellement bloqué, et les actions juridiques des opposants pourraient l’enterrer.



- Marche de protestation dans la province d’Alberta, au Canada (juin 2014). -


Une deuxième proposition - menée par la compagnie Portland-Montréal Pipe Line - envisageait de parcourir le Canada vers l’Est, de Montréal jusqu’au port américain de South Portland.

Ce oléoduc existe déjà, il a été construit en 1950, et encore aujourd’hui achemine le pétrole de la ville de Portland, dans l’Etat du Maine (États-Unis), jusqu’à Montréal. L’idée de la compagnie était d’inverser le flux de cet oléoduc afin qu’il puisse transporter le pétrole issu des sables bitumineux.

En juillet 2013, de nombreux résidents du Nord-Est des Etats-Unis et du Québec ont participé à une marche de protestation de 29 km le long de l’oléoduc. Un an plus tard, la mairie s’est opposée formellement au projet, en approuvant avec une très large majorité une loi qui a fermé la porte au passage du oléoduc.

« Même avec des technologies modernes, des risques existent. Cela inquiète nos citoyens : nous les avons entendus et il n’y aura pas de chargement de ce pétrole ici », avait expliqué le maire, Gerard Jalbert.

Lutte autour du Portland-Montréal


En concurrence avec l’oléoduc Portland-Montreal on trouve un troisième projet : c’est l’Énergie Est, porté par la compagnie TransCanada. D’une longueur de 4 600 kilomètres, il serait en mesure de transporter plus de 1,1 million barils de pétrole brut par jour de l’Alberta et du Saskatchewan vers des raffineries de l’Est du Canada.

Sa construction a été évaluée à douze milliards de dollars. Et si dans sa partie occidentale TransCanada prévoit de transformer un gazoduc existant, sur une bonne partie du parcours québécois il faudrait construire un nouvel oléoduc.

En juin dernier, des groupes écologistes et citoyens ont adressé une lettre à David Heurtel, ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec, « pour qu’il étudie spécifiquement le projet de oléoduc Énergie Est et pour que le Québec se dote d’un pouvoir d’autorisation de ce projet ».

Le but est d’éviter que le gouvernement fédéral et l’Office national de l’énergie imposent un oléoduc qui menace les communautés et l’environnement locaux.



- Vue aérienne de mines de sables bitumineux dans la région de Fort McMurray -


Les Républicains relancent le Keystone XL


Mais le plus célèbre des projets d’acheminement des sables bitumineux est sans doute le Keystone XL. Un immense oléoduc entre le Canada et le golfe du Mexique au Sud, lancé en 2008 et porté, lui aussi, par le consortium TransCanada.

Face à l’opposition de la société civile, l’administration américaine de Barack Obama avait annoncé le 18 avril dernier que sa décision concernant l’autorisation à la construction serait reportée à après les élections de novembre. Mais les résultats des élections de mi-mandat ont donné aux républicains la majorité au Sénat.

Ce basculement du Congrès a réjoui les Canadiens : « C’est une bonne nouvelle pour l’emploi et l’économie canadienne : on dirait que le nouveau Sénat américain aura les soixante voix nécessaires pour autoriser Keystone XL », a écrit sur Twitter l’influent ministre de l’Emploi, Jason Kenney. L’oléoduc pourrait donc devenir l’une des priorités des républicains.. Vendredi 14 novembre, la Chambre des représentants des Etats-Unis a voté pour autoriser à nouveau l’oléoduc, par 252 voix contre 161, 31 démocrates ayant voté oui, avec le groupe républicain. Mais mardi 18 novembre, il a manqué une voix pour que le Sénat accorde l’autorisation de l’oléoduc.

Acharnement


Pour l’instant le gouvernement d’Alberta n’exclut pas les projets en région arctique, bien que les dommages potentiels causés à l’environnement par une fuite de pétrole soient déjà bien documentés : « Nombreuses études scientifiques, souligne Bonin, démontrent qu’un déversement de pétrole en Arctique aurait des conséquences néfastes pour la faune, dont les ours polaires, et pour les populations côtières, qui dépendent de la chasse et la pêche traditionnelles pour se nourrir ».



- Opération de nettoyage après la marée noire provoquée par le superpétrolier Exxon Valdez, en 1989. -


« Pire encore, poursuit-il, le pétrole des sables bitumineux est exporté sous forme de pétrole lourd : il coule lorsqu’il est déversé dans l’eau, ce qui rend sa récupération extrêmement complexe, voire impossible ».

Il suffit de se rappeler du 24 mars 1989, quand le superpétrolier Exxon Valdeza heurté le récif Bligh Reef dans le golfe du Prince William, au large des côtes de l’Alaska. 750 000 barils de pétrole brut ont été déversés en mer, en produisant l’un des pires désastres environnementaux causés par l’être humain.


Source : Andrea Barolini pour Reporterre

Photos :
. Chapô : PR Allseas
. Mine à Fort McMurray : Greenpeace Suisse (Rezac)
. Marche et mine : Greenpeace Canada
. Exxon Valdez : Wikipedia (doamine public)

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