Jura: Soutien à nos amis suisses



Quand la Suisse résiste et vous parle de son histoire.....


Bonne lecture



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Source: http://www.telerama.fr/
Nathalie Crom
Publié le 19/04/2008. Mis à jour le 12/10/2009



L'écrivain Jacques Chessex est mort




C'était le créateur d'une œuvre tourmentée, marquée par son histoire familiale: Jacques Chessex est mort vendredi à Yverdon-les-Bains (canton de Vaud, Suisse), au cours d'une rencontre avec le public. Chessex était le seul écrivain suisse à avoir remporté le prix Goncourt (1973, avec “L'Ogre”). Nous l'avions rencontré en avril 2008, pour un portrait que nous republions ici. Le romancier romand y revenait sur ses obsessions: Dieu, les femmes, la folie, la mort... et la Suisse.


Le paysage vaudois du Haut-Jorat, au milieu duquel il vécut,évoquait pour le grand poète suisse Gustave Roud « comme une suite de beaux corps étendus, avec des inflexions qui reprennent et transposent au bord du ciel celles du corps humain, d'une molle hanche, d'une gorge ou d'une épaule, inflexions soulignées ici et là par un bref trait sombre de forêts ». Courbes subtiles, dénivelés nuancés. Douce austérité, évidente et sobre beauté. Roud était installé dans le village de Carrouge. À quelques kilomètres de là, à Ropraz, Jacques Chessex a fait construire sa maison, il y a trente-cinq ans, grâce à la manne du prix Goncourt reçu en 1973 pour L'Ogre: « Je suis revenu dans les terres du Jorat, car je suis né à une dizaine de kilomètres de là, en 1934, à Payerne. J'ai voulu retrouver le paysage enfantin, prairies labourées et forêts. Et surtout l'immensité du ciel. La montagne peut donner la sensation d'un enfermement, mais à Ropraz, ce n'est pas le cas. L'horizon est dégagé et, face à lui, c'est comme si ma pensée, elle non plus, ne connaissait pas d'obstacles». Ce jour d'hiver, pourtant, Jacques Chessex est à Paris. Comme c'est régulièrement le cas. « Je ne suis pas un campagnard, un ermite, je sais manger le caviar et l'huître, prévient-il. J'ai même été parfois tenté de m'installer plus durablement à Paris. Mais non. Je me cogne l'oeil à des parois, des façades, des rues souvent très belles, et très vite vient le besoin irrépressible de retourner à l'immensité du ciel».





«J'aime le simple sous lequel bougent toutes les complexités, le secret le plus opaque, tous les possibles, la fureur, le vertigineux scandale de l'existence et du rien»

Les lecteurs attentifs de Jacques Chessex connaissent, sans y être allés, la configuration de Ropraz, l'antre de l'écrivain. Il l'évoquait, en effet, dans l'un de ses ouvrages récents, Le Vampire de Ropraz: Derrière sa maison, en bordure de la forêt, un cimetière qui fut il y a cent ans le cadre du fait divers terrible sur lequel revient le récit. Une histoire de profanation, de viol, de sacrilège absolu, de sexualité coupable, de péché, de damnation... Comme un condensé sidérant des obsessions que Jacques Chessex – « vampire, mon frère », sourit-il avec malice dans sa barbe blanche – n'a cessé de ruminer, de sonder, de fouiller jusqu'à l'os depuis toujours – durant le presque demi-siècle qui s'est écoulé depuis la parution en 1962 de La Tête ouverte,son premier roman. L'attrait irrépressible de la chair, l'aspiration spirituelle non moins violente et exacerbée, le désir inoui des femmes et celui non moins radical de Dieu – ou, pour mieux dire, d'une transcendance –, les tentations multiples et contradictoires, sainteté et sensualité face à face, qui déchirent l'individu, creusent en lui des dérèglements, le guident vers la folie et la mort: Voilà pour le répertoire des motifs tourmentés autour desquels s'articule la bibliographie nombreuse – plus de cinquante ouvrages, romans, récits, recueils de poèmes... – de l'écrivain. Motifs qu'il a longtemps déclinés dans des romans généreusement baroques, avant d'incliner vers la simplicité. « J'aime le simple aéré et qui aère, le simple puits des profondeurs, le simple sous lequel bougent toutes les complexités, le secret le plus opaque, tous les possibles, la fureur, le vertigineux scandale de l'existence et du rien », écrit-il dans son dernier livre paru, Le simple préserve l'énigme, un titre emprunté à Heidegger.


Je suis comme médiumnique, je capte des choses :
Dans le village même où je vis, des suicides, des actes de sorcellerie... 
Je serais fou de passer à côté de cela, c'est une mine d'inspiration pour un romancier»

Un allègement qui serait le signe d'un certain apaisement ? L'hypothèse se tient. « Désencombré de trop de lest et de suie », note-t-il dans Le simple préserve l'énigme. Pour ce qui est du poids, du tourment, du chagrin, des déchirements, Jacques Chessex revient de loin. D'abord, il y a la Suisse, cette terre puissamment calviniste, obsédée par le péché, «réservoir extraordinaire de fureurs cachées». La Suisse, dont il dit qu'elle est peuplée des descendants « de mercenaires et de guerriers », que « les idéologies peuvent y être furieuses » et les désordres mentaux, fanatiques. Aujourd'hui encore: « Je suis comme médiumnique, je capte des choses, la rumeur de violences de toutes sortes : Dans le village même où je vis depuis près de quarante ans, des suicides, des actes de sorcellerie... Je serais fou de passer à côté de cela, c'est une mine d'inspiration pour un romancier. Et aussi pour un poète, car on sent bien ici que la réalité n'est jamais ce qu'elle est, que le visage qu'elle montre ne la résume pas» Au coeur de ce chaudron helvète, l'histoire personnelle de Jacques Chessex, elle aussi, s'est déréglée. L'écrivain a raconté, dans Monsieur, dans Le Désir de Dieu, le suicide de son père, professeur et notable de Lausanne, en 1956, les accusations de viol et de crime dont il avait fait l'objet. L'aveu des fautes du père, inséparable de celui de l'amour intact que lui voue le fils, ont comme libéré l'écrivain. Qui vient en outre de consacrer à sa mère un ouvrage plein d'amour et de repentir – une confession, là encore, douloureuse et tendre, «comme une prière à bouche fermée».


“Il n'y a pas de jour qui ne commence par cette écoute très urgente et naturelle de la voix poétique en moi. C'est un chant qui est apparu avant l'adolescence et qui s'est pas interrompu depuis”

L'aveu, c'est la modalité selon laquelle Jacques Chessex écrit – selon laquelle il est lu : « Même quand j'écris "il", les lecteurs le reçoivent comme un "je". L'Ogre n'était pas écrit à la première personne, mais tout le monde m'a identifié spontanément au personnage de Jean Calmet». Les lecteurs de Chessex ne s'y trompent pas: « Je ne possède pas autre chose que ce que je suis, je n'écris qu'avec cela. C'est ma vérité, je ne peux pas faire autre chose. Alors, oui, je dis "je", je ne sais dire que ça». À l'heure où on attaque sottement la littérature autobiographique, accusée de narcissisme et autres crimes impardonnables, lui demeure à l'écoute de sa voix intérieure, de ce « chant irrépressible » en lui, qui lui dicte chaque matin les notes dont il couvre ses petits carnets: « Il n'y a pas de jour, je peux le promettre, qui ne commence par cette écoute très urgente et naturelle de la voix poétique en moi. C'est un chant qui est apparu avant l'adolescence, lorsque j'avais 12 ou 13 ans, et qui s'est pas interrompu depuis. J'ai confiance en cette voix du matin, qui se donne comme une grande certitude, qui ne passe pas par le doute. Les mots qu'elle me dicte prennent parfois la forme du récit, parfois celle de l'invocation poétique, parfois celle du regard critique – le genre importe peu».


Par l'expression « regard critique », entendons regard admiratif inlassablement posé sur ses maîtres, cette ample et belle cohorte au sein de laquelle saint Augustin et Aristote – les piliers, la fondation intellectuelle véritable de Chessex – côtoient Flaubert et Bossuet, où Rousseau tient la main de Francis Ponge, où l'on croise aussi Benjamin Constant, Goya, Loyola, Jean de la Croix, Nicolas de Staël, Dickens, Georges Bataille, Jean Genet, René Char, Beckett... Et regard attentif et bienveillant porté sur les œuvres de ses amis, poètes ou peintres – parmi ceux-là, Cocteau, Balthus, Pierre-Jean Jouve, Gustave Roud, bien entendu. Et au premier rang peut-être, François Nourissier, autre admirable écrivain du « je », lié à Chessex par quatre décennies d'affection, d'estime, de connivence profondes – mais il n'en dira pas davantage, car « il faut de la nuit. il faut de la cendre, dans ce que nous disons et avouons de notre rapport à nos livres, et plus encore aux livres des autres... » Il est temps, pour Chessex, de se remettre à l'écoute de lui-même – de poser sur le papier les mots de l'aveu, sans cesse réitéré.


En mars 2009, nous avions demandé à 100 écrivains de nous donner la liste de leurs 10 livres préférés. Voici celle que nous avait envoyé Jacques Chessex :


L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert
Un cœur simple de Gustave Flaubert
Moravagine de Blaise Cendrars
Voyage au bout de la nuit de Céline
Un roi sans divertissement de Jean Giono
Notes sur l’affaire Dominici de Jean Giono
La Littérature et le Mal de Georges Bataille
Madame Edwarda de Georges Bataille
La Folie du jour de Maurice Blanchot
L’Instant de ma mort de Maurice Blanchot


À LIRE :
“Pardon mère”, éd. Grasset, 220 p., 17,50 €
ET AUSSI :
“Revanche des purs” (poèmes), éd. Grasset, 134 p.
“Le simple préserve l'énigme”, éd. Gallimard, 88 p.

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