Sûreté nucléaire en France: « Un contexte particulièrement préoccupant »

Par Pierre Le Hir
Le Monde.fr | 20.01.2016

Commentaire: Le nucléaire bat de l'aile, l'éolien «brasse» du vent (et pour certains des millions d'€), le solaire est «à l'ombre», l’hydraulique est au taquet (17%), les «fossiles» pas les bienvenus, la biomasse s'épuise à «tirer» le monde des ENR (54%): L'avenir de la production de l'électricité s'annonce sombre, longue et ennuyeuse comme une... soirée d'hiver.


Bonne lecture

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La centrale nucléaire du Bugey, près de Lyon, en avril 2015. Laurent Cipriani/ap


« Nous sommes entrés dans une phase d’enjeux sans précédent en matière de sûreté et de radioprotection ». Pierre-Franck Chevet, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), avait un ton grave, sinon alarmant, en présentant, mercredi 20 janvier, ses vœux à la presse. Un rituel qui est l’occasion, pour cette institution indépendante, de rendre publics les grands chantiers qui l’occupent. Or, estime cette année le gendarme de l’atome, « le contexte est particulièrement préoccupant ».


L’ASN va d’abord devoir traiter la question de l’éventuelle extension de la durée de vie des 58 réacteurs du parc électronucléaire français. Ceux-ci ont été conçus pour fonctionner quarante ans, mais leur exploitant, EDF, souhaite les pousser jusqu’à cinquante ou même soixante ans, au prix d’un « grand carénage » chiffré à 55 milliards d’euros. En ligne de mire, l’exemple des États-Unis, dont les réacteurs pourraient être autorisés à rester en service pendant quatre-vingts ans.


Gagner le droit à une longévité accrue

La France n’est pas l’Amérique et, rappelle M. Chevet, « la prolongation de la durée de fonctionnement des réacteurs au-delà de quarante ans n’est pas acquise ». Pour gagner le droit à une longévité accrue, ils devront se rapprocher des « standards de sûreté modernes », ceux des EPR de troisième génération. Et une attention particulière sera portée au vieillissement de leur cuve, la chaudière où s’opèrent les réactions de fission et qui doit donc être d’une résistance à toute épreuve.

La plupart des réacteurs français ont été couplés au réseau dans les années 1970 à 1980 et, entre 2020 et 2025, près de la moitié d’entre eux devra passer la quatrième visite décennale, c’est-à-dire l’inspection poussée qui décidera de leur aptitude, ou non, à rester en activité. Le premier à passer cet examen sera celui de Tricastin 1 (Drôme et Vaucluse), en 2019.

Dans les prochaines semaines, indique l’ASN, seront mis en consultation publique de premiers documents, portant sur « les grands objectifs de sûreté et les études à mener en vue de cette prolongation ». Mais l’autorité de contrôle ne rendra un avis « générique », c’est-à-dire de principe, que fin 2018. Et l’avenir de chaque réacteur sera ensuite examiné au cas par cas.

Le calendrier s’annonce donc « très chargé et très serré ». D’autant que l’ASN doit aussi se pencher sur l’éventuelle prolongation d’installations de recherche du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), ainsi que d’usines du cycle du combustible (production et retraitement). Soit, d’ici à 2017, « une cinquantaine de dossiers à traiter ».

S’y ajoute le suivi des travaux post-Fukushima, destinés à renforcer la résistance des sites nucléaires à des catastrophes naturelles, telles que les séismes et les inondations. Des moyens mobiles d’intervention ont déjà été mis en place, sous forme d’une « force d’action rapide nucléaire » qui, pleinement opérationnelle depuis la fin 2015, peut se déployer en moins de vingt-quatre heures sur un site nucléaire gravement accidenté. Mais le « noyau dur » de systèmes de défense exigé par l’ASN pour toutes les centrales, qui comprend notamment des postes d’alimentation en électricité et en eau de refroidissement d’« ultime secours », reste à mettre en œuvre. Le déploiement de l’ensemble du dispositif « demandera encore de cinq à dix ans ».


Dossier de la sûreté de l’EPR de Flamanville

Ce n’est pas tout. Les installations nucléaires en construction portent, elles aussi, leur lot d’inquiétudes. À commencer par l’EPR de Flamanville (Manche). L’ASN a rendu publique, en avril 2015, l’existence de défauts dans l’acier du couvercle et du fond de la cuve du réacteur, réduisant leur résistance à la propagation de fissures. Des anomalies qualifiées de « sérieuses, voire très sérieuses ». Areva, fournisseur de la cuve, doit mener de nouveaux essais de qualification de ces composants cruciaux, afin de prouver qu’ils sont sûrs. L’ASN jugera ensuite sur pièces, son avis étant prévu « à la fin de l’année ». Mais elle a demandé à Areva « d’étudier dès à présent la fabrication d’un nouveau couvercle de cuve », pour anticiper la possibilité que cette pièce doive être purement et simplement remplacée.

Lire aussi: Le réacteur EPR de Flamanville touché au cœur


Le dossier de la sûreté de l’EPR de Flamanville – dont le démarrage n’est plus prévu avant la fin 2018, avec près de sept ans de retard sur le calendrier initial, et dont le coût a grimpé de 3 milliards à plus de 10 milliards d’euros – est donc loin d’être clos. D’autant que l’autorité de contrôle note que c’est à son initiative qu’ont été divulguées les malfaçons de l’acier de la cuve, qui étaient pourtant connues d’Areva depuis 2007. Aussi l’ASN a-t-elle décidé d’un « réexamen systématique de la qualité des fabrications passées ». Des vérifications sont notamment en cours dans l’usine Areva du Creusot (Saône-et-Loire) où ont été forgées les pièces de la cuve.

Lire aussi: Nouveau report de la mise en service de l’EPR de Flamanville


Tous ces chantiers se profilent alors que les industriels chargés de ces installations sont « en grandes difficultés économiques et techniques », souligne M. Chevet. Ce qui constitue « une source de préoccupation majeure ». L’État a certes mis sur pied un plan de sauvetage d’Areva (qui a affiché 4,8 milliards d’euros de pertes en 2014), avec recapitalisation et prise de contrôle par EDF d’Areva NP, la filiale de fabrication et de maintenance des réacteurs nucléaires. Mais, note le président de l’ASN, la filière nucléaire française recomposée est « en phase transition »et « les capacités financières ne sont pas encore là ». Dans ce contexte, il se montrera particulièrement vigilant sur « le maintien des compétences humaines essentielles pour la sûreté », et sur le fait que « les investissements de sûreté soient faits en temps et en heure ».

Lire aussi : Le sauvetage d’Areva pourrait coûter plus cher que prévu


Manque de moyens de l’ASN

Face à ces multiples enjeux, le gendarme de l’atome lance un avertissement solennel au gouvernement. Il n’a, dit-il, « pas les moyens » d’y faire face correctement. Pour mener à bien toutes ses missions, l’ASN dispose de 474 agents, auxquels s’ajoutent environ 500 des 1 700 agents de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), travaillant directement sur l’expertise technique dans ce domaine. L’autorité de sûreté avait demandé un renfort de 200 personnes. Elle en a obtenu de l’État une trentaine « Pour 2016, déplore M. Chevet, nous serons obligés de faire des priorisations, en nous occupant d’abord des installations en fonctionnement, et en second rang seulement de celles en construction ».

Pourtant, observe-t-il, les 170 postes manquants au traitement serein des questions de sûreté nucléaire représentent un budget de l’ordre de 50 millions d’euros. Très loin des 55 milliards d’euros prévus pour la prolongation des réacteurs français…

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