Engie, la transformation ou le déclin

Anne Feitz   
Journaliste 
le 02/04 /16


Panneaux photovoltaiques. Inspection du site par le chef de projet. Inauguration prevue le 18 septembre par le president de la Republique. electricite, energie renouvelable, developpement durable - Patrick ALLARD/REA

Comme EDF ou les géants allemands E.ON et RWE, Engie subit de plein fouet le retournement du marché européen de l’énergie. Pour tenter de rebondir, le groupe amorce un virage radical qui suscite de nombreuses interrogations.

Les temps sont durs pour les énergéticiens européens. Les uns après les autres, ils annoncent pertes, lourdes dépréciations et, pour certains, licenciements massifs: EDF, E.ON, RWE, Iberdrola, Enel… Tous traversent ou ont traversé, dans leur histoire récente, des périodes noires. Engie non plus n’a pas échappé à la crise. Le géant né en 2008 de la fusion entre Suez et Gaz de France vient d’annoncer 4,6 milliards d’euros de pertes nettes, deux ans à peine après avoir déjà perdu 9,7 milliards. Son cours de Bourse a fondu de 50 % en cinq ans et même des deux tiers depuis la fusion, il y a moins de dix ans.

Pour tenter de rebondir, l’énergéticien français vient d’annoncer un vaste programme de transformation, qui doit lui permettre de devenir « le leader de la transition énergétique dans le monde ». Condamné sans cela à un déclin inéluctable, le groupe n’avait guère le choix. Alors que Gérard Mestrallet, son PDG depuis vingt ans, s’apprête à en céder la direction générale à Isabelle Kocher, Engie ouvre aujourd’hui une nouvelle page de son histoire.

Ces dernières annonces n’en ont pas moins suscité une certaine perplexité chez les observateurs, analystes, investisseurs, ou même au sein de l’État, tant le discours est, sur de nombreux points, radicalement différent de ce qu’il était il n’y a pas si longtemps « De nombreux investisseurs qualifient Engie de “boîte noire” », écrivait Michel Debs, analyste chez Citi, début décembre. Mais certains ont la dent plus dure encore, et vont jusqu’à assimiler le groupe à un « bateau ivre », rappelant que les lourdes dépréciations comptables enregistrées en deux ans, 23 milliards d’euros au total, témoignent d’une destruction de valeur considérable: Depuis fin 2012, les fonds propres sont tombés­ de 66 à 49 milliards d’euros…

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Une partie de ces dépréciations a été passée sur des actifs entrés dans le groupe lors de la fusion avec Gaz de France (centrales à gaz, exploration-production), alors que l’énergéticien revendiquait le titre de « leader mondial de l’énergie ». D’autres concernent des actifs repris lors de l’acquisition du britannique International Power, finalisée – au prix fort – en avril 2012 « Nous voulons faire de GDF Suez l’énergéticien de référence dans le monde émergent », déclarait alors Gérard Mestrallet. Certaines des centrales à gaz reprises à l’époque viennent d’être vendues, aux États-Unis et en Indonésie. Beaucoup d’autres sont à vendre. Engie vient aussi de céder la centrale au charbon de Meenakshi, en Inde, qui avait été acquise fin 2013 et a fait l’objet de 630 millions d’euros de dépréciations fin 2015.

Héritée de Gaz de France, l’exploration-production était encore considérée il y a moins de deux ans comme un actif à développer, qui permettait au groupe d’être présent sur « toute la chaîne de valeur du gaz ». Elle fait désormais l’objet d’une « réflexion », pour ne pas parler de mise en vente. Le nucléaire, qui figurait aussi parmi les axes de développement il y a trois ans, est aujourd’hui clairement moins stratégique.

Il est vrai que le secteur de l’énergie traverse depuis quelques années des bouleversements  majeurs, sans précédent, difficiles voire impossibles à prédire. En favorisant les exportations de charbon à bas prix, le gaz de schiste américain a plombé la rentabilité des centrales à gaz en Europe. Les énergies renouvelables gagnent en compétitivité et concurrencent les centrales thermiques. Les prix de marché de l’électricité se sont effondrés en Europe et aux Etats-Unis. Les opérateurs historiques voient leurs parts de marché lourdement attaquées. Les prix du pétrole et du gaz ont plongé. La catastrophe de Fukushima a gelé de nombreux projets nucléaires… « Dans un tel environnement, nous ne pouvions pas ne pas adapter notre stratégie ! Et nous avons été les premiers à le faire » aujourd’hui Gérard Mestrallet.

Aucune des « utilities » européennes n’avait anticipé une telle révolution « Les règles du jeu ont été modifiées. Il est difficile de jeter totalement la pierre aux énergéticiens », estime un analyste financier. Les allemands E.ON et RWE se trouvent dans une position bien pire qu’Engie. Mais leur situation n’est pas tout à fait comparable: Ils ont aussi été affectés par la décision de leur pays de sortir du nucléaire. À l’inverse, l’espagnol Iberdrola ou l’italien Enel, mieux positionnés sur les renouvelables, semblent en meilleure posture que le groupe français. Mais ils sont aussi moins touchés par la chute des prix de l’électricité.


De nombreux atouts

Engie a-t-il réagi assez tôt, assez fort ? Début 2014, le groupe a annoncé un premier virage stratégique. Il voulait devenir « le leader de la transition énergétique en Europe et l’énergéticien de référence dans les pays à forte croissance » « À cette époque Engie a plutôt raconté une histoire de croissance. Mais le moteur des pays émergents est tombé en panne. Alors on raconte maintenant une histoire un peu différente », souligne un bon connaisseur du groupe. De fait, depuis deux ans, la croissance n’a pas été vraiment au rendez-vous: Le chiffre d’affaires a baissé de 14 % entre 2013 et 2015 et le résultat brut d’exploitation (Ebitda) de 16 %.

Aujourd’hui, Engie annonce un « plan de transformation à trois ans pour devenir le leader de la transition énergétique dans le monde » « Une simple accélération de la stratégie précédente », plaident ses dirigeants, passant cette fois par une vaste rotation d’actifs de 15 milliards d’euros sur trois ans. Il s’agit de se désengager des activités les moins rentables (voire en perte), telles que les centrales électriques qui vendent leur électricité au prix de marché ou encore l’exploration-production, pénalisée depuis dix-huit mois par la chute du prix du pétrole. Et de réinvestir dans des activités moins risquées, bénéficiant de contrats d’achat sur l’électricité produite ou de tarifs régulés, comme c’est le cas des infrastructures gazières (réseaux de gazoducs ou de distribution). Le tout avec une forte volonté de développement dans les énergies renouvelables et les services à l’énergie.

Le pari de la transformation est toutefois loin d’être gagné. Si tous les énergéticiens ont aujourd’hui le même discours, Engie peut se prévaloir de certains atouts par rapport à ses concurrents « Le pilotage historique de son portefeuille d’activités repose davantage sur une logique financière de holding, sans réelle intégration des activités entre elles: Le résultat aujourd’hui est que le groupe peut sans doute montrer une agilité supérieure pour faire tourner son portefeuille », relève Arnaud Leroi, associé chez Bain & Company. Engie dispose en outre avec Cofely d’une activité de services parmi les plus développés au monde, réalisant 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le groupe exploite des infrastructures de bonne qualité qui délivrent, bon an mal an, de 3 à 3,5 milliards d’euros d’Ebitda – et une solide réputation en la matière. Il bénéficie enfin d’une implantation internationale que les autres n’ont pas. Nombre de ces atouts proviennent d’ailleurs d’International Power (IP), fait valoir Gérard Mestrallet « Une bonne partie de nos actifs régulés ont été acquis avec IP, de même que certaines activités renouvelables, au pays de Galles, au Maroc ou en Indonésie », rappelle-t-il, défendant le bien-fondé de l’acquisition aujourd’hui régulièrement critiquée.

Il s’agit maintenant de trouver des acheteurs pour les actifs à vendre. 5 milliards d’euros de cessions viennent d’être annoncés: Les dirigeants d’Engie se sont félicités des prix de vente obtenus… mais ils venaient de déprécier lourdement les centrales concernées. Et, pour les 10 milliards d’euros restants, le moment n’est pas forcément le plus favorable pour céder des actifs peu ­rentables ou en bas de cycle.


Une concurrence féroce

Surtout, il faudra réinvestir à bon escient, sans céder à la fièvre du deal à tout prix, alors que la concurrence est tout aussi vive sur les projets ou les sociétés attractifs « Le groupe a affirmé que, sur les 15 milliards à réinvestir, 10 concernaient des projets déjà bien identifiés. Mais nous n’en connaissons pas le détail ni la profitabilité »Michel Debs. Engie n’a pas donné d’objectif de chiffre d’affaires ni de résultat à horizon 2018.

Dans les services, le marché mondial est très atomisé. Difficile, dans ces conditions, de réaliser une opération de croissance externe significative. Depuis deux ans, le groupe a fait le tour du monde à la recherche de l’oiseau rare, mais n’a finalement repris que des petites ou moyennes sociétés. La plus grosse d’entre elles, le britannique Balfour Beatty Workplace, réalisait moins de 600 millions d’euros de chiffre d’affaires. Et grossir par croissance organique relève de l’exploit, compte tenu de la taille des contrats dans ce métier où les marges­ sont par ailleurs très faibles (au mieux quelques dizaines de millions d’euros de revenu par an).

La difficulté est à peu près la même dans les énergies renouvelables. L’énergéticien a racheté (assez cher) SolaireDirect en juin 2015, il vient de reprendre les 51 % du spécialiste de l’éolien Maï : Ces acquisitions lui ont permis de gagner 750 mégawatts (MW) de capacités électriques supplémentaires… à comparer avec son portefeuille actuel de 73 gigawatts. Depuis janvier 2015, les nouveaux contrats dans l’éolien et le solaire ont totalisé 600 MW. Au total, les énergies renouvelables ont représenté l’an dernier 16 % de sa production d’électricité – dont moins de 4 % pour l’éolien et le solaire « La concurrence est féroce et les énergéticiens n’ont pas vraiment d’avantage compétitif dans ce domaine… Il va en falloir des nouveaux contrats pour remplacer l’Ebitda généré par les activités historiques ! Et encore faudra-t-il qu’ils soient profitables », avance un bon connaisseur du groupe.

La route sera donc longue. Et Isabelle Kocher n’aura pas la tâche facile. Elle a, pour l’heure, mis en œuvre une vaste réorganisation interne, qui est jugée « intéressante » et « cohérente » par les observateurs extérieurs, mais qui a totalement chamboulé les équipes. L’accent qu’elle met sur l’innovation et l’écosystème dédié aux start-up est de même apprécié, car il pourrait dessiner l’avenir du groupe dans dix ans, mais il ne générera pas un centime dans les années qui viennent. Engie ne pouvait pas rester immobile. Le groupe est encore solide: Il génère du cash, sa dette reste maîtrisée. Mais ses profits d’exploitation fondent comme neige au soleil. Une chose semble claire: S’il réussit sa transformation, son profil sera radicalement différent « Son “business model” va changer, en termes de rentabilité, de profil de risque et d’intensité capitalistique: Il ne faudra sans doute pas s’attendre à retrouver un niveau comparable de profits avant 2020 », estime Arnaud Leroi. Rendez-vous dans trois ans, pour un premier bilan.


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