"Hauts de France": Un désastre de marketing territorial

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Jacques Darras

Commentaire: Extraordinaire? Les majorités des Conseils régionaux du Nord Pas-de-Calais Picardie et de l’Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine (ACAL) ont utilisé les mêmes méthodes de «démocratie participative» bidon pour choisir le nouveau nom de leur région respective. Les «cons», jeunes et moins jeunes,  comptez- vous!

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Ayant déjà dû subir une fusion intempestive, difficile à avaler, les nouvelles régions françaises sont confrontées depuis quelques semaines à un changement d’appellation. Le cas du Nord et de la Picardie, livrés à un Conseil régional où la majorité est désormais confiée aux Républicains, cependant que l’opposition est dévolue au Front National, est devenu exemplaire. Dans sa séance du 14 mars dernier, le nouveau Conseil régional a choisi la dénomination « Hauts de France », à la grande stupeur des administrés. Depuis, leur dérision s’en donne à cœur joie, leurs protestations affluent dans les colonnes de la presse régionale (Courrier Picard, Voix du Nord,…). Manifestement, la décision ne passe pas. Quelle justification le président de la nouvelle région, Xavier Bertrand, a-t-il donné pour ce choix ? La volonté d’éviter la division entre deux « vieilles » régions, Nord et Picardie, prétendument affectées d’un coefficient de misérabilisme dans l’esprit des Français[1].


La question paraîtra sans doute anecdotique lorsqu’on la compare aux urgences de l’heure. Pourtant qu’on ne s’y trompe pas, ce coup de force du « marketing territorial » comme on désigne élégamment l’opération, révèle plus que de la désinvolture politique. C’est un déni d’histoire, une manière de « fondamentalisme soft » qui espère induire une réalité neuve par simple manipulation linguistique. Pour asseoir sa décision, le nouveau pouvoir a d’ailleurs fait endosser ses choix à un panel de jeunes lycéens dont il invoque la jeunesse bien sûr, donc le sens du futur, contre la « ringardise » des esprits restés attachés aux vieilles dénominations. Parfait exemple de démagogie camouflée en exercice de démocratie directe, cette pseudo-légitimité refuse cependant qu’on l’interroge sur un point: D’où provenaient les trois noms, Hauts de France, Terres du Nord, Nord de France, offerts aux votes préférentiels desdits lycéens avant d’être corroborés par le Conseil ? De quelle imagination médiocre ? De quelle société en marketing ?

Argument massue invoqué par le nouveau Conseil régional, l’appellation « Hauts de France » aurait davantage d’impact commercial auprès des Anglo-Saxons. Foi d’angliciste, le syntagme en question est tout simplement intraduisible en anglais ! En outre, quels esprits incultes peuvent-ils ignorer aujourd’hui l’importance vitale qu’eurent les champs de bataille de Picardie (en anglais Picardy) pour notre propre survie, pour la constitution de l’Australie, la Nouvelle Zélande ou l’Afrique du Sud ainsi que pour la mémoire guerrière des Britanniques ? Qui n’a pas versé de larmes sur les « Roses of Picardy », assemblées en bouquet par Haydn Wood, chantées par Frank Sinatra ou jouées par Sydney Bechet ? Les « Hauts de France » donnent un haut-le-cœur à qui garde les pieds sur terre, ayant la ferme conviction qu’il n’existera jamais d’avenir sans appui sur le passé. Or l’appellation Nord Pas-de-Calais Picardie, tellement évidente et simple, s’appuie sur deux départements créés par la Révolution en 1790 et un nom aussi vieux que la nation picarde, co-fondatrice de la Sorbonne avec les nations française, normande et allemande au XIIIe siècle. Des origines intellectuelles et territoriales (la majorité des révolutionnaires viennent d’Artois et de Picardie) ne suffisaient-elles pas à honorer cette grande nouvelle région de 6 millions d’habitants ?

On notera qu’instruites par ce faux-pas du 14 mars commis par monsieur Xavier Bertrand et ses troupes, toujours pressées d’être les premières sur la brèche, par manque total de sagacité, les autres régions ont fait preuve de bon sens géographique ou historique ou les deux. À l’unanimité de son Conseil, la région Bourgogne Franche Comté a confirmé qu’elle s’appellerait « Bourgogne Franche-Comté ». Auvergne Rhône Alpes s’appellera « Auvergne Rhône Alpes ». Quant à l’improbable région composée de Champagne, Ardennes, Lorraine et Alsace, son président Philippe Richert a cru bon de surseoir au choix pour introduire in fine un quatrième nom à la liste originale des trois noms proposés « Grand Est » est devenu l’appellation la plus minimale possible, la moins dommageable pour les trois fortes régions originelles concernées. Restent donc Gros Jean comme devant, le Nord avec la Picardie, affublés d’une étiquette ridicule, en décalage total avec l’absence de prétention des gens du Nord, leur humilité authentique et leur sens de l’autodérision, qui ne préjugent nullement de leurs ambitions réelles, ni de leur courage.

Est-ce que, n’écoutant que son bon sens, le gouvernement de Manuel Valls saura corriger ce contre-sens historique et géographique commis par une instance écervelée, grisée de pseudo-culture commerciale, dont le Front National local, sans cesse en progression, s’est immédiatement emparé pour en pointer l’erreur ? Il faut l’espérer, d’autant que par une espèce de remords d’ultime minute, le Conseil de Xavier Bertrand a laissé « Nord Pas-de-Calais Picardie » en sous-titre de la nouvelle dénomination. Un seul trait de plume suffirait donc à inverser le titre et le sous-titre. Comme il ne manque pas d’élus du Nord ou de la Picardie dans le cabinet du premier ministre, gageons qu’ils sauront faire preuve de persuasion douce mais surtout de clairvoyance. Les électeurs ne leur pardonneraient pas une dernière erreur.



[1] On ne dira jamais assez le mal causé par le film de Dany Boon, Bienvenue chez les Ch’ti (2008), qui aura conforté la vision d’un Nord certes populaire et chaleureux mais en proportion inverse d’une réalité locale présentée comme rétrograde.

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