À Lyon, des chercheurs travaillent pour nous

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Sonia
Dessin : Stouff
jeu, 09/06/2016


Commentaire: «Boutique des sciences»: En voilà un nom à retenir. Pourra être utile un jour...
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Depuis trois ans, la capitale rhodanienne s’est dotée d’une Boutique des sciences afin de mettre en relation la société civile et le monde académique autour de projets concrets. Grâce à elle, les associations peuvent bénéficier d’études indépendantes réalisées par un chercheur sur les sujets de leur choix.


Lorsqu’en 2012, l’association des jardins ouvriers de Villeurbanne s’est tournée vers l’université de Lyon, c’était un peu en désespoir de cause. Depuis plusieurs années, les jardiniers amateurs tentaient en effet de comprendre et d’endiguer l’envasement de la Rise, le cours d’eau qui traverse leurs parcelles. Leurs questions, posées à différentes administrations liées à l’eau, restaient sans réponse, jusqu’à ce que le service Sciences et société de l’université s’empare du sujet. Hydrologie, mais aussi rapport des jardiniers amateurs avec l’eau, les interrogations de l’association permettaient d’aborder la question de façon transversale. Un cas parfait pour en faire le projet pilote de la toute nouvelle Boutique des sciences.


Contrairement à ce que pourrait laisser penser son nom, la Boutique des sciences est un service gratuit. Elle s’adresse aux associations qui ont besoin de connaissances scientifiques et aux chercheurs désireux de mettre leur savoir au service de la société civile pour résoudre des cas pratiques « On s’occupe notamment de “sujets orphelins”, c’est-à-dire de questions intéressantes pour des petits groupes, mais pas jugées comme urgentes ou d’intérêt général par les collectivités, ni assez révolutionnaires pour les chercheurs qui ne pourraient pas y consacrer une thèse de trois ans », explique Davy Lorans, médiateur à la Boutique des sciences. Par exemple, la Boutique a permis d’étudier l’analyse des effets de la vie étudiante sur les dynamiques socio-économiques d’un quartier lyonnais (à la demande du conseil de quartier Guillotière), de mesurer l’impact des particules biologiques dans l’air (étude commanditée par le Réseau national de surveillance aérobiologique), ou encore de comparer deux modes de nourrissement pré-hivernal des abeilles domestiques (en réponse à un questionnement d’un groupement d’apiculteurs ligériens).

La première « promotion » de la Boutique des sciences, qui comptait sept étudiants, est sortie en 2014. En 2014-2015, il y a eu onze projets menés et elle espère en traiter une douzaine pour l’année 2015-2016. Le principe est simple : les associations posent leur question, et la Boutique des sciences trouve un étudiant et un chercheur encadrant pour y répondre. En pratique, c’est un tout petit peu plus compliqué. Les personnes intéressées peuvent poser leurs questions via le site web, mais pour le moment, la Boutique manque de notoriété et c’est surtout en démarchant elle-même les associations, les conseils de quartier, voire les groupes de parents d’élèves, qu’elle récolte des questions et se fait connaître. Elle n’accepte pas les questions émanant de particuliers, « car c’est trop fragile », explique Davy Lorans. « Il faut être sûr que l’étudiant sera suivi toute la durée de son stage qui dure environ six mois ». Les questions des associations sont ensuite sélectionnées et reformulées par un comité scientifique composé de onze enseignants-chercheurs des différents établissements de l’Université de Lyon et des représentants de la société civile, afin d’en faire un sujet de recherche. Ensuite, une offre de stage est diffusée auprès des étudiants en seconde année de master et des professeurs intéressés par la thématique.

Pour que tout ce petit monde se comprenne et collabore, la Boutique des sciences organise en début d’année une formation de « communication interculturelle ». À travers un cycle d’ateliers, «scientifiques et société civile échangent sur les représentations qu’ils ont les uns des autres », explique Davy Lorans. Cela doit permettre de favoriser le dialogue entre deux univers qui n’ont souvent pas le même langage. Durant leurs recherches, les étudiants sont beaucoup en contact avec l’association qui leur fournit les données et les renseignements dont ils peuvent avoir besoin pour répondre à la question posée. Lorsqu’ils ont terminé leurs recherches, ils remettent deux rapports, un premier dans le cadre de leur soutenance de mémoire, et un second à destination de l’association, qui peut s’en servir pour communiquer auprès de ses adhérents ou des médias. La Boutique des sciences propose d’ailleurs aux étudiants l’appui d’un journaliste pour aider à vulgariser leurs propos.

Pour les associations, passer par la Boutique des sciences est intéressant à plusieurs titres. En plus d’obtenir des réponses à leurs questions, elles peuvent disposer d’une information « neutre », estampillée « Université de Lyon ». « Grâce à l’étude indépendante réalisée par un étudiant en école d’ingénieur sur les raisons et l’utilité de l’éclairage nocturne, on peut communiquer sur ses conclusions sans être accusés d’être partie prenante », explique Lydie Nemausat, qui travaille pour la Frapna Rhône, une association écologique qui dénonce les pollutions lumineuses. L’intérêt est aussi financier. La Boutique des sciences rémunère le stagiaire sur son propre budget et l’association n’a qu’à prendre en charge les éventuels frais de déplacement de l’étudiant. Pour le groupement d’apiculteurs présidé par Jean Riondet, cette quasi gratuité a ainsi permis de faire mener un travail de recherche sur l’alimentation des abeilles qu’ils n’auraient pas pu financer par eux-mêmes, et qui apporte un savoir à tous ceux qui disposent de ruches.


De la question profane au sujet d'étude scientifique

Pour les étudiants, la boutique des Sciences offre des stages très concrets, en prise avec des questionnements sociétaux. « On repère assez facilement les étudiants qui pourraient convenir, car ce sont ceux qui ont envie d’appliquer leurs enseignements théoriques », indique Davy Lorans. « D’habitude, on ne sort pas de chez nous. Avec ce stage pour la Frapna, j’ai découvert d’autres approches, et un relationnel enrichissant », confie Pierre Lavisse, l’ancien étudiant de l’INSA de Lyon (une école d’ingénieurs) qui a travaillé sur le sujet de l’éclairage nocturne. Côté chercheurs, si certains sont convaincus et ont soutenu le lancement de la Boutique des sciences, d’autres émettent quelques réserves. Jean-Michel Deleuil, un enseignant chercheur qui a encadré Pierre Lavisse, reconnaît que la Boutique lui a permis de travailler sur un sujet intéressant qu’il n’aurait certainement pas traité sans cela. Mais il trouve « dommage qu’on ait besoin de la Boutique des sciences pour montrer à la société qu’on travaille pour elle ». Il regrette également de ne pas être impliqué dès le début de la procédure : « il aurait fallu que je puisse participer à la reformulation de la question », estime-t-il. Cette étape de reformulation, qui permet de transformer une question profane en un sujet d’étude scientifique, peut aussi être mal vécue par les associations « Trop étroites », ou au contraire « trop larges », les questions ainsi transformées ne sont plus celles d’origine, et amènent donc des réponses parfois jugées « intéressantes, mais limitées », confie ainsi Lydie Nemausat.

En France, il n’y a que trois Boutiques des sciences (voir encadré). Pourtant, ce concept n’est pas nouveau. Il a vu le jour « au sein du mouvement étudiant et contre-culturel du début des années 1970, lorsqu’un groupe d’étudiants en chimie néerlandais a décidé de réunir ses idées pour aider des clients à but non lucratif à résoudre des problèmes scientifiques. Aidés par le personnel de l’université, ils avaient pour but d’accroître l’influence de la société civile dans les cercles académiques et de constituer de meilleurs liens entre groupes de citoyens et scientifiques, par exemple pour travailler sur la pollution des sols », rappelle la Commission européenne dans un rapport sur le sujet. Dans les années 1980, le principe s’était exporté dans plusieurs pays d’Europe, dont la France, qui a compté jusqu’à une douzaine de Boutiques des sciences. Mais le mouvement, qui était principalement porté par des bénévoles, s’est essoufflé. L’Union Européenne tente d’insuffler une nouvelle dynamique depuis 2003 via des financements dédiés et l’animation du réseau des Boutiques des sciences, qui rassemble une vingtaine de membres surtout en Europe du Nord.


La Boutique de Grenoble :un autre modèle
En France, il existe deux autres Boutiques des sciences : une à Grenoble et l’autre qui vient tout juste d’être créée à Lille. Le principe est toujours de faire de la recherche pour la société civile, mais les méthodes diffèrent. Si la Boutique de Lille s’inspire plus de l’expérience lyonnaise, Contrevent, la boutique des sciences de Grenoble, a la particularité de ne pas être rattachée à une université « On revendique le droit de faire de la recherche en dehors de l’université. On considère que les premiers experts d’un problème sont les personnes concernées », explique Nicolas, l’un des fondateurs de l’association Contrevent, créée il y a trois ans à partir de l’expérience d’une précédente boutique. La mise en lien avec un chercheur universitaire ou des étudiants n’est pas systématique.

Contrevent se donne comme finalité de « lutter contre les inégalités et les injustices sociales ». Elle accompagne actuellement cinq travaux, comme par exemple une recherche-action menée avec une association autour de la mise en place de jardins potagers sur des toits d’immeubles. Ils accompagnent également un groupe dans l'étude et la transmission de l’histoire des luttes des immigrations dans l’agglomération grenobloise. Ce travail a donné lieu à des ateliers de lecture collective, une journée d'échanges sur une place de la ville et une assemblée publique pour définir collectivement les suites à donner à cette recherche populaire.

L’association compte deux salariés en contrats aidés « Le financement est très précaire. Il n’y a pas d’argent disponible pour des démarches de recherche en dehors des universités », déplore Nicolas. Souvent, la recherche de fonds fait d’ailleurs partie du travail que Contrevent réalise avec les associations qui l’ont sollicité. « On se pose ensemble la question des besoins financiers, des ressources accessibles. La recherche, ce n’est pas qu’une histoire de méthode, c’est aussi des moyens. Si on veut changer les rapports de pouvoir dans la production des connaissances, on doit se poser la question des conditions matérielles nécessaires au travail de recherche collective, en même temps que celle des bénéfices que chacun va tirer du travail ».

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