Par Yves Faucoup
21 oct. 2016
Blog : Social en question
21 oct. 2016
Blog : Social en question
Commentaire: (...) "
Cette affaire met en évidence : - l'hypocrisie des grands groupes se déchargeant sur des intermédiaires complices, les achetant pour faire disparaître des produits toxiques avant de s'en laver les mains ;
- ces intermédiaires jouent sur leur faiblesse pour ne pas solutionner un problème qu'ils n'avaient jamais eu l'intention de régler sérieusement ; s'ils sont sanctionnés, c'est peanuts par rapport aux dégâts commis (ici 300 francs !) ;
- ces industriels ne payent pas les pots cassés : c'est à la charge de l'État, donc du contribuable, donc de nous tous ; et ce sont les simples citoyens qui font les frais de devoir cohabiter avec une telle source de pollution ;
- des sociétés diverses, écrans ou filiales, se succèdent comme si on cherchait à brouiller les pistes (ici : Socrimex, Monin, Ecospace, Géoclean, Sita Centre est, et évidemment Lyonnaise des Eaux Dumez) ;
- les contrôles ne sont pas effectués par des organismes assermentés mais les autorités font confiance aux entreprises privées qui sont ainsi juge et partie ;
- les autorités n'hésitent pas à se contredire, ce qui importe c'est "pas de remous" ;
- une pollution qui empeste l'atmosphère est plus gênante que lorsqu'elle est bien cachée, par exemple enterrée ;
- enfin, la population préfère au bout d'un moment qu'on ne lui parle plus de ce qui entache son lieu de vie." (...)
Toute ressemblance avec le monde de l'éolien est purement fortuite et pourtant, l'histoire se répète.
Cette affaire met en évidence : - l'hypocrisie des grands groupes se déchargeant sur des intermédiaires complices, les achetant pour faire disparaître des produits toxiques avant de s'en laver les mains ;
- ces intermédiaires jouent sur leur faiblesse pour ne pas solutionner un problème qu'ils n'avaient jamais eu l'intention de régler sérieusement ; s'ils sont sanctionnés, c'est peanuts par rapport aux dégâts commis (ici 300 francs !) ;
- ces industriels ne payent pas les pots cassés : c'est à la charge de l'État, donc du contribuable, donc de nous tous ; et ce sont les simples citoyens qui font les frais de devoir cohabiter avec une telle source de pollution ;
- des sociétés diverses, écrans ou filiales, se succèdent comme si on cherchait à brouiller les pistes (ici : Socrimex, Monin, Ecospace, Géoclean, Sita Centre est, et évidemment Lyonnaise des Eaux Dumez) ;
- les contrôles ne sont pas effectués par des organismes assermentés mais les autorités font confiance aux entreprises privées qui sont ainsi juge et partie ;
- les autorités n'hésitent pas à se contredire, ce qui importe c'est "pas de remous" ;
- une pollution qui empeste l'atmosphère est plus gênante que lorsqu'elle est bien cachée, par exemple enterrée ;
- enfin, la population préfère au bout d'un moment qu'on ne lui parle plus de ce qui entache son lieu de vie." (...)
Toute ressemblance avec le monde de l'éolien est purement fortuite et pourtant, l'histoire se répète.
php
Pas une semaine sans qu'on n'ait droit à une
décharge sauvage ici, des produits toxiques entreposés là, ouverts à
tous vents, polluants les cours d'eau. Occasion de rappeler que des
déchets mortels peuvent être enterrés en catimini : comme à Gouhenans,
en France, 5200 tonnes de déchets de lindane, insecticide, de poison
dissimulé. Ni vu, ni connu.
Aujourd'hui, dans les environs de Fréjus, des tonnes de gravats sont
déversées frauduleusement par des entrepreneurs sans scrupules faisant
peser des menaces en cas d'inondations, sans parler de la pollution et
du massacre de l'environnement : 90 fautifs verbalisés, un seul
poursuivi. Les grandes carrières de sable et de gravier de la région
parisienne, les boues rouges de Gardanne, l'enfouissement des déchets
nucléaires à Bure et le projet à Millevaches (Corrèze), l'air pollué :
aux dernières nouvelles, 48 000 personnes en meurent chaque année en
France, des polluants sont retrouvés chez des êtres vivants au fin fond
des océans.
En mai dernier, l'association Robin des bois a publié un Atlas de la France toxique, qui recense plus de 500 "sites terrestres pollués". La Haute-Saône ne compte que quatre sites : mais celui de Gouhenans n'est pas répertorié. Certes, l'histoire est ancienne, mais la menace de pollution est toujours bien actuelle. Et cette affaire est emblématique de la façon dont est bien souvent abordée la question de la pollution.
Ce village de 400 habitants a droit à une fiche particulièrement
fournie dans Wikipedia : on nous offre une description détaillée de la
saline, de la verrerie et du puits houiller qui connurent leurs heures
de gloire au XIXème siècle (sous Gouhenans et Houillères et saline de Gouhenans)
et même un scandale lié à l'exploitation du sel, impliquant des hommes
politiques de la Monarchie de Juillet. Mais pas un mot sur le dépôt et
la pollution du lindane : il y a trop d'informations par ailleurs, pour
que cet oubli ne soit pas volontaire de la part de ceux qui ont alimenté
ces fiches encyclopédiques.
Ces déchets de lindane (insecticide utilisé en agriculture) appartenaient à la multinationale Ugine-Kuhlmann qui avait été contrainte en 1966 à les déménager de Colmar car des résidus importants de lindane avaient été décelés dans le lait. Entreposés à Huningue, près de Bâle dans le Haut-Rhin, de nouvelles plaintes surgirent : de l'autre côté du Rhin, à Weil-am-Rhein, le lait est déclaré impropre à la consommation (23 vaches doivent être abattues). Le ministre des affaires sociales du Bade-Wurtemberg demande l'arrêt de cette fabrication de lindane, ce qui conduit la Préfecture du Haut-Rhin, par un arrêté du 23 juin 1973, d'ordonner la fermeture de l'usine. Ordre est donné d'évacuer les déchets pour le 30 juin 1974 dernier délai.
C'est alors qu'un industriel franc-comtois, Pierre Blondeau, PDG d'une société Socrimex dont le siège est à Besançon, se propose d'acquérir ces déchets pour les retraiter. Ce n'est pas n'importe qui : il a été longtemps président de la chambre régionale du commerce. Depuis une vingtaine d'années, il possède à Gouhenans un dépôt de produits chimiques, entreposés dans l'ancienne saline (si célébrée par Wikipedia). Il prétend vouloir extraire de ces déchets de l'acide chlorhydrique et du trichlorobenzène (pour le traitement de surface et support de colorant pour les textiles).
Affaire conclue : les premiers camions de trente tonnes arrivent au rythme d'une cinquantaine par jour pour déverser les déchets de lindane en provenance de Huningue. Déjà 5200 tonnes ont été entreposées dans un pré, au milieu d'un bois, à proximité d'un étang, à quelques cents mètres des dernières maisons du village. Des témoins à l'époque évoquent "une odeur épouvantable" et se plaignent de maux de tête.
Pierre
Blondeau ne compte pas s'arrêter là : il envisage de récupérer 10 à 12
000 tonnes de déchets. La mobilisation des habitants le conduit à
recouvrir le dépôt d'une bâche noire, recouverte de pneus, et à cesser
les transferts. Pour amadouer la population, il annonce qu'il compte
bien créer 5 à 10 emplois. Il fait le malin : lors d'une assemblée
générale réunissant les habitants, il les interpelle en leur demandant
s'ils sont "pour ou contre l'isomère-gamma de l'hexachlorocyclohexane" (le lindane). Il existe alors une commission régionale anti-pollution et, comme pas hasard, c'est lui qui la préside.
La tension monte : des habitants de Gouhenans parlent de prendre le
maquis, rien de moins. Une pétition est lancée, signée par trente mille
pêcheurs de Haute-Saône. Un comité de défense se constitue, on aurait
constaté une aggravation de la santé de personnes asthmatiques.
Malgré les assurances de Pierre Blondeau, affirmant qu'il n'y a aucun
danger, sa propre société, pour empêcher des jeunes de faire du
moto-cross sur la bâche, publie un communiqué : "Des accidents peuvent survenir, les produits entreposés étant extrêmement dangereux".
En effet, l'ingestion de 7 à 15 grammes est mortelle, et l'inhalation
porte gravement atteinte à la santé. Le sénateur de la majorité de
droite de l'époque, qui a été nommé commissaire-enquêteur
"commodo-incommodo", conclut à la nécessité d'enlever ce dépôt. La
commission départementale d'hygiène fait de même. Alors la Préfecture de
Haute-Saône prend un arrêté le 6 août 1974 ordonnant le retrait de ces
produits toxiques et ce, avant le 26 février 1975.
Finalement, ces déchets ne seront jamais enlevés. Ugine-Kuhlmann, qui s'était proposé pour les traiter dans son usine de Loos-lès-Lille, récupère d'abord les 6000 tonnes illégalement maintenus à Huningue. M. Blondeau tente de déplacer ce cadeau empoisonné dans diverses localités du Doubs, en vain, car personne n'en veut. Cette affaire n'est pas un secret, la presse en parle, la radio déboule, des revues écologiques écrivent sur Gouhenans...
________
... Pierre Blondeau passe en correctionnelle pour avoir ouvert un
établissement dangereux et est condamné en juin 1975 par le Tribunal de
Lure à … 300 francs d'amende. Mais il est relaxé en avril 1976 de
l'accusation de pollution ayant entraîné la mort de poissons dans un
affluent de l'Ognon, rivière passant à proximité. Puis la Socrimex est
mise en liquidation judiciaire, le personnel licencié. Non seulement les
déchets de lindane mais encore le dépôt de produits toxiques dans
l'ancienne saline reste sans surveillance : j'ai vu à l'époque des
bidons pleins estampillés de têtes de mort, dans des locaux ouverts à
tous vents. N'importe quel enfant pouvait jouer sur les containers et
les renverser.
Extrait de l'arrêté préfectoral de 1974 qui interdisait le dépôt
de lindane, dont l'arrêté de 1979, autorisant l'enfouissement, ne
tiendra aucun compte [publié dans L'Estocade en 1983]
Comment enterrer l'affaire
Puis les opposants à ce projet se sont fatigués, les actions se sont essoufflées. Le comité de défense du village s'est sabordé. Gouhenans est oublié, le tas de déchets va continuer à dormir pendant six ans sous une bâche plastique noire. Et c'est là où l'on voit comment fonctionne le système : la Préfecture n'attendait qu'une chose, à savoir que les opposants baissent leur garde. Alors qu'elle avait pris un arrêté pour interdire ce dépôt, elle autorise le 13 décembre 1979 la Société Monin Ordures Service, grosse société qui a récupéré la Socrimex, à enfouir les déchets dans la terre. Cet arrêté ne fait aucune allusion à celui de 1974, qui disait le contraire. Le Service des Mines autorise cet enfouissement, ainsi que le conseil municipal qui ne veut plus en entendre parler.
En
1980, cinq fosses profondes de dix à quinze mètres sont creusées dans
la marne, sensée être étanche, à proximité d'une zone marécageuse et le
lindane y est déversé à coup de bulldozer. Puis tout est recouvert de
scories (mâchefer "non contaminé") et de terre végétale. Ni vu ni connu.
L'enfouissement enterre l'affaire.
En mai dernier, l'association Robin des bois a publié un Atlas de la France toxique, qui recense plus de 500 "sites terrestres pollués". La Haute-Saône ne compte que quatre sites : mais celui de Gouhenans n'est pas répertorié. Certes, l'histoire est ancienne, mais la menace de pollution est toujours bien actuelle. Et cette affaire est emblématique de la façon dont est bien souvent abordée la question de la pollution.
Gouhenans en Haute-Saône [Photo Loïc Faucoup]
Ces déchets de lindane (insecticide utilisé en agriculture) appartenaient à la multinationale Ugine-Kuhlmann qui avait été contrainte en 1966 à les déménager de Colmar car des résidus importants de lindane avaient été décelés dans le lait. Entreposés à Huningue, près de Bâle dans le Haut-Rhin, de nouvelles plaintes surgirent : de l'autre côté du Rhin, à Weil-am-Rhein, le lait est déclaré impropre à la consommation (23 vaches doivent être abattues). Le ministre des affaires sociales du Bade-Wurtemberg demande l'arrêt de cette fabrication de lindane, ce qui conduit la Préfecture du Haut-Rhin, par un arrêté du 23 juin 1973, d'ordonner la fermeture de l'usine. Ordre est donné d'évacuer les déchets pour le 30 juin 1974 dernier délai.
C'est alors qu'un industriel franc-comtois, Pierre Blondeau, PDG d'une société Socrimex dont le siège est à Besançon, se propose d'acquérir ces déchets pour les retraiter. Ce n'est pas n'importe qui : il a été longtemps président de la chambre régionale du commerce. Depuis une vingtaine d'années, il possède à Gouhenans un dépôt de produits chimiques, entreposés dans l'ancienne saline (si célébrée par Wikipedia). Il prétend vouloir extraire de ces déchets de l'acide chlorhydrique et du trichlorobenzène (pour le traitement de surface et support de colorant pour les textiles).
Affaire conclue : les premiers camions de trente tonnes arrivent au rythme d'une cinquantaine par jour pour déverser les déchets de lindane en provenance de Huningue. Déjà 5200 tonnes ont été entreposées dans un pré, au milieu d'un bois, à proximité d'un étang, à quelques cents mètres des dernières maisons du village. Des témoins à l'époque évoquent "une odeur épouvantable" et se plaignent de maux de tête.
[Photo d'illustration YF]
Gouhenans, vue aérienne [Photo Marc Pillet]
Finalement, ces déchets ne seront jamais enlevés. Ugine-Kuhlmann, qui s'était proposé pour les traiter dans son usine de Loos-lès-Lille, récupère d'abord les 6000 tonnes illégalement maintenus à Huningue. M. Blondeau tente de déplacer ce cadeau empoisonné dans diverses localités du Doubs, en vain, car personne n'en veut. Cette affaire n'est pas un secret, la presse en parle, la radio déboule, des revues écologiques écrivent sur Gouhenans...
________
Ces événements se passent peu après l'élection de Valery
Giscard d'Estaing : pendant la campagne, est apparu le premier candidat
écologique, René Dumont. Militant syndicaliste à l'époque, peu branché
sur les questions écologistes, j'ai cependant téléphoné au siège de sa
campagne, installé sur une péniche amarrée au Pont de l'Alma. Je demande
des affiches à coller. Les moyens de ce candidat sont si restreints que
nous ne recevrons jamais les affiches mais je serai d'autorité inscrit
sur une liste, publiée par le mensuel Actuel au printemps 1974,
comme correspondant de René Dumont pour la Haute-Saône ! Nous fabriquons
nous mêmes des affiches (Saône polluée et les Pluton nucléaires de
Bourogne, dans le Territoire-de-Belfort). Du coup, je me sens un peu
porté à devoir créer avec des amis un Comité écologique de Haute-Saône : comité qui participa à au moins une manifestation de soutien aux habitants de Gouhenans.
Comment enterrer l'affaire
Puis les opposants à ce projet se sont fatigués, les actions se sont essoufflées. Le comité de défense du village s'est sabordé. Gouhenans est oublié, le tas de déchets va continuer à dormir pendant six ans sous une bâche plastique noire. Et c'est là où l'on voit comment fonctionne le système : la Préfecture n'attendait qu'une chose, à savoir que les opposants baissent leur garde. Alors qu'elle avait pris un arrêté pour interdire ce dépôt, elle autorise le 13 décembre 1979 la Société Monin Ordures Service, grosse société qui a récupéré la Socrimex, à enfouir les déchets dans la terre. Cet arrêté ne fait aucune allusion à celui de 1974, qui disait le contraire. Le Service des Mines autorise cet enfouissement, ainsi que le conseil municipal qui ne veut plus en entendre parler.
[Ph. MP]
Seulement voilà : très vite, il se murmure que la rivière toute
proche est polluée. La Préfecture ordonne à Monin de produire une étude
et d'engager les travaux s'il s'avère nécessaire "d'isoler le dépôt des venues d'eau extérieures". Une fuite, si l'on peut dire, parvient à la revue L'Estocade,
d'informations générales, que je dirige à l'époque. L'affaire des fûts
baladeurs de Seveso (déchets chimiques, suite à la catastrophe en
Italie, transférés clandestinement en France) a défrayé la chronique en
mai 1983. On vient de découvrir une tonne et demie
d'arsenic dans une décharge à Roumazières, en Charente. On apprend que
500 tonnes de produits toxiques ont été enterrés depuis trois ans à
Bellegarde (Gard).
Un article est publié dans le numéro de juillet-août 1983 de l'Estocade, retraçant toute l'affaire. Avec copie de l'arrêté qui interdisait l'enfouissement et l'aveu que me fait alors Pierre Blondeau : si sa société n'avait pas fait faillite, il ne sait pas si les déchets auraient été véritablement traités, suite à un retour à l'envoyeur (Ugine-Kuhlmann).
Un article est publié dans le numéro de juillet-août 1983 de l'Estocade, retraçant toute l'affaire. Avec copie de l'arrêté qui interdisait l'enfouissement et l'aveu que me fait alors Pierre Blondeau : si sa société n'avait pas fait faillite, il ne sait pas si les déchets auraient été véritablement traités, suite à un retour à l'envoyeur (Ugine-Kuhlmann).
Tuyau sensé capter les eaux, non hermétique [Photo Marc Pillet dans "L'Estocade", en 1983]
Il n'est pas
exclu que le petit industriel ait été payé par cette grosse firme pour
qu'il la débarrasse d'un stock gênant. Les habitants ont certainement
été bernés depuis le début. Ce qui expliquerait que la Préfecture n'a
rien exigé d'UK et s'est pliée à cette solution indigne. Ugine-Kuhlmann
avait longtemps eu une activité chimique … à Gouhenans (de 1927 à 1955),
ce qui évidemment réduit le hasard d'une telle installation dans ce village précisément.
Le Bureau Régional de Géologie Minière (BRGM) publie quelques jours seulement après la parution de L'Estocade (en juillet 1983 donc) une étude qui a dû être réalisée au cours des mois précédents et qui conclut : "Les
analyses réalisées sur des échantillons prélevés dans le ruisseau et
dans les 4 sondages, ont montré la présence de lindane dans tous les
prélèvements", soit "120 grammes de lindane rejeté par an dans la nature".
Cette pollution date peut-être, selon l'enquêteur, de l'époque où le
stock était à ciel ouvert. Il estime que cette pollution pourrait durer
encore six ans et qu'il faut suivre son évolution pendant une dizaine
d'années.
En 1990, le BRGM constate que le niveau de pollution a été en baisse jusqu'en 1989, "à la limite de la détection", mais qu'il remonte : "recrudescence en teneur de lindane sur les points de contrôle". L'inquiétude vient du fait que le site est gorgé d'eau : il n'empêche que l'on continue à dire que cela vient sans doute du temps où le dépôt ("de l'ordre de 5000 tonnes de résidus de lindane") était à l'air libre. Les marnes sont altérées, alors le rapporteur propose la pose d'une "géomembrane sur les 3000 m² du dépôt qui assurera une étanchéité de surface" et une paroi étanche moulée dans le sous-sol pour isoler le dépôt de lindane. La consigne sera donnée au gestionnaire du site qui est désormais Ecospace et qui engage les travaux demandés. La base de données ministérielle qui recense plus de 6000 sites en France détaille les travaux effectués, confirmant que dans la mesure où un tel volume est enterré seul une protection au-dessus (géomembrane, sable, marne, et gazon) et sur les côtés (une paroi de béton de 50 cm d'épaisseur) sera possible : une sorte de sarcophage mais sans fond. Avec obligation à effectuer des prélèvements tous les six mois. Il paraît évident qu'on n'engage pas de tels travaux (pas forcément efficaces, nous le verrons) pour une pollution minime.
_____________
L'entreprise Bachy qui a procédé a l'enfouissement a publié un article dans une revue de la société. Il précise que c'est Géoclean, filiale de la Lyonnaise des Eaux Dumez, spécialisée dans les études de réhabilitation de sites pollués, qui a saisi Bachy. Le ton est enjoué : ceux qui ne savent pas où est Gouhenans "ne perdent somme toute pas grand-chose", c'est "un lieu inoubliable" qui se trouve "au cœur de la Haute Patate". Le chantier, boueux, pire "cloaqueux", a duré trois semaines, mais "le lindane ne risque plus de s'échapper". Et pour galéjer un peu plus : 9 g de lindane c'est pas pire que "225 g … de sel de cuisine".
[Photo publiée dans la revue de Bachy, légendée ainsi : "L'usine à gaz" de Gouhenans]
_______________________
Le temps passait, l'eau continuait à couler sous les ponts, mais quelques années plus tard, en 1998, les eaux souterraines s'avèrent avoir des teneurs en lindane "anormalement élevées". Il faut revoir entièrement les modalités de contrôle. Plusieurs prélèvements en 1999 confirment en certains points la présence de lindane. On sent quand même la panique : les autorités exigent un prélèvement tous les deux mois. Plusieurs piézomètres ont été installés pour effectuer ces prélèvements.
Le maire du village, que j'ai interrogé, rappelle qu'il n'est maire que
depuis peu de temps (2014) et que lui et les élus ne sont pas des
techniciens. Ils se fondent sur les études qui sont envoyées en mairie.
Il tient à la fois à dire que lui et la population ne sont pas en souci
par rapport à ce dépôt, tout en précisant qu'il n'est pas question de
négliger les risques éventuels. Et que s'il s'avérait que le site est
dangereux pour le public, alors "on se penchera sur le problème". Il tient à me préciser que "les
conseils municipaux précédents et celui actuellement en fonction ont
toujours eu à l'esprit ce stock de produit toxique. Il est
malheureusement implanté sur un terrain privé et la commune n'a que peu
de champs d'action à ce niveau."
Photo Marc Pillet
En 1990, le BRGM constate que le niveau de pollution a été en baisse jusqu'en 1989, "à la limite de la détection", mais qu'il remonte : "recrudescence en teneur de lindane sur les points de contrôle". L'inquiétude vient du fait que le site est gorgé d'eau : il n'empêche que l'on continue à dire que cela vient sans doute du temps où le dépôt ("de l'ordre de 5000 tonnes de résidus de lindane") était à l'air libre. Les marnes sont altérées, alors le rapporteur propose la pose d'une "géomembrane sur les 3000 m² du dépôt qui assurera une étanchéité de surface" et une paroi étanche moulée dans le sous-sol pour isoler le dépôt de lindane. La consigne sera donnée au gestionnaire du site qui est désormais Ecospace et qui engage les travaux demandés. La base de données ministérielle qui recense plus de 6000 sites en France détaille les travaux effectués, confirmant que dans la mesure où un tel volume est enterré seul une protection au-dessus (géomembrane, sable, marne, et gazon) et sur les côtés (une paroi de béton de 50 cm d'épaisseur) sera possible : une sorte de sarcophage mais sans fond. Avec obligation à effectuer des prélèvements tous les six mois. Il paraît évident qu'on n'engage pas de tels travaux (pas forcément efficaces, nous le verrons) pour une pollution minime.
_____________
L'entreprise Bachy qui a procédé a l'enfouissement a publié un article dans une revue de la société. Il précise que c'est Géoclean, filiale de la Lyonnaise des Eaux Dumez, spécialisée dans les études de réhabilitation de sites pollués, qui a saisi Bachy. Le ton est enjoué : ceux qui ne savent pas où est Gouhenans "ne perdent somme toute pas grand-chose", c'est "un lieu inoubliable" qui se trouve "au cœur de la Haute Patate". Le chantier, boueux, pire "cloaqueux", a duré trois semaines, mais "le lindane ne risque plus de s'échapper". Et pour galéjer un peu plus : 9 g de lindane c'est pas pire que "225 g … de sel de cuisine".
[Photo publiée dans la revue de Bachy, légendée ainsi : "L'usine à gaz" de Gouhenans]
_______________________
Le temps passait, l'eau continuait à couler sous les ponts, mais quelques années plus tard, en 1998, les eaux souterraines s'avèrent avoir des teneurs en lindane "anormalement élevées". Il faut revoir entièrement les modalités de contrôle. Plusieurs prélèvements en 1999 confirment en certains points la présence de lindane. On sent quand même la panique : les autorités exigent un prélèvement tous les deux mois. Plusieurs piézomètres ont été installés pour effectuer ces prélèvements.
Extraits conclusions des rapports 2013 et 2014 de Sita Centre est
En juin 2010, "forte augmentation ponctuelle de la teneur en lindane". En 2012 et 2013 : "pas d'évolutions significatives"
au niveau des eaux souterraines et superficielles. Ce sont les derniers
éléments fournis par la base de données Basol du ministère de
l'environnement. Sita Centre Est, société basée à Lyon, qui
aujourd'hui est en charge du site, a pourtant fourni deux rapports l'un
pour 2013, l'autre pour 2014. Les prélèvements ne sont pas source
d'inquiétude et les conclusions sont identiques (tellement identiques
que la même erreur d'orthographe est répétée), relevant chaque fois que
le site est bien intégré et que rien ne laisse paraître qu'il y a là un "centre de stockage" sinon une clôture, un portail et des piézomètres.
[Ph. LF]
Zone marécageuse à proximité du dépôt enterré [Ph. LF]
Cette affaire met en évidence : - l'hypocrisie des grands groupes se déchargeant sur des intermédiaires complices, les achetant pour faire disparaître des produits toxiques avant de s'en laver les mains ;
- ces intermédiaires jouent sur leur faiblesse pour ne pas solutionner un problème qu'ils n'avaient jamais eu l'intention de régler sérieusement ; s'ils sont sanctionnés, c'est peanuts par rapport aux dégâts commis (ici 300 francs !) ;
- ces industriels ne payent pas les pots cassés : c'est à la charge de l'État, donc du contribuable, donc de nous tous ; et ce sont les simples citoyens qui font les frais de devoir cohabiter avec une telle source de pollution ;
- des sociétés diverses, écrans ou filiales, se succèdent comme si on cherchait à brouiller les pistes (ici : Socrimex, Monin, Ecospace, Géoclean, Sita Centre est, et évidemment Lyonnaise des Eaux Dumez) ;
- les contrôles ne sont pas effectués par des organismes assermentés mais les autorités font confiance aux entreprises privées qui sont ainsi juge et partie ;
- les autorités n'hésitent pas à se contredire, ce qui importe c'est "pas de remous" ;
- une pollution qui empeste l'atmosphère est plus gênante que lorsqu'elle est bien cachée, par exemple enterrée ;
- enfin, la population préfère au bout d'un moment qu'on ne lui parle plus de ce qui entache son lieu de vie.
Pourtant, plutôt que d'engager de tels travaux en 1991, inefficaces puisque le sarcophage est incomplet, sans fond, on aurait pu tout aussi bien déterrer le produit et exiger d'Ugine-Kuhlmann qu'il le retraite.
Site sous lequel sont enterrées 5200 tonnes de lindane. Piézomètre pour la surveillance de la pollution [Photo Loïc Faucoup]
Aux fins fonds…
En novembre 2012, Le Monde consacrait un grand article à l'enfouissement de 20 tonnes de pesticides à base de DDT près d'un village et d'une rivière… en Russie. Mais les 5200 tonnes de résidus de lindane aux fins fonds de la Haute-Saône n'ont jamais vraiment intéressé les médias.
Sources :
. Basol, base de données du ministère.
. Rapports de la société Sita Centre est, 2014 et 2015.
Photos :
Les photos de Marc Pillet et de Loïc Faucoup ont été réalisées spécialement pour illustrer cet article.
Billet n° 286
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
Lien avec ma page Facebook
Tweeter : @YvesFaucoup
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire