Des efforts visant à relancer l’industrie nucléaire des États-Unis

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Publié le vendredi 21 octobre 2016


Lors d’une audience du Energy and Water Development Appropriations Subcommittee (Sous-comité du Sénat en charge du développement de l’Énergie et de l’Eau) le 14 septembre 2016 sur le "futur de l’énergie nucléaire", les sénateurs ont exprimé un mélange d’inquiétude et d’espoir sur la vitalité de l’industrie nucléaire et de l’innovation nucléaire américaines. [1] [2]


Le déclin de l’industrie nucléaire américaine s’accélère et est considéré comme « alarmant »

Il y a actuellement 99 réacteurs nucléaires en exploitation aux États-Unis, qui sont tous des réacteurs à eau légère. Ensemble, ils fournissent environ 20 % de l’électricité de la nation et représentent environ 60 % de l’électricité produite sans émission de dioxyde de carbone.
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Emplacements des centrales nucléaires actives américaines. (Crédits d’image - U.S. Energy Information Administration)
Ces dernières années, les entreprises américaines ont fermé, ou annoncé la fermeture, de huit réacteurs d’une capacité totale de 6300 MW. Dans sa déclaration d’ouverture, le président du Sous-comité, Lamar Alexander, a exprimé sa préoccupation au sujet de la santé de l’industrie nucléaire américaine, étant donné que jusqu’à 25 réacteurs pourraient fermer d’ici 2020 et que 48 autres pourraient être forcés de fermer d’ici à 2038 si leurs licences n’étaient pas prolongées au-delà de 60 ans, limite des autorisations jusqu’ici délivrées par l’Autorité de sûreté nucléaire américaine (la Nuclear Regulatory Commission, NRC).
Ernest Moniz, Secrétaire à l’Énergie des Etats-Unis depuis 2013, sans pouvoir se prononcer sur la perspective de prolongation des licences, a fait observer que le Département de l’Énergie (United States Department of Energy, DoE) finance des recherches via son Light Water Reactor Sustainability Program pour appuyer les décisions finales de la NRC concernant la prolongation de licence.
Lamar Alexander a conclu son discours d’ouverture en affirmant que les Etats-Unis devraient prendre cinq mesures pour assurer la vitalité future de l’industrie nucléaire :
-  construire plus de réacteurs,
-  sortir de l’impasse sur le stockage des déchets radioactifs,
-  assouplir la règlementation afin de réduire les coûts de construction des centrales,
-  cesser de subventionner les technologies énergétiques arrivées à maturité, en particulier l’éolien et le solaire,
-  doubler les efforts de recherche sur l’énergie.
Sur les deux derniers points, il a répété son souhait de voir aboli le système de « production tax credits » pour l’énergie éolienne afin de réallouer ces fonds au financement de la recherche énergétique fondamentale. En juillet dernier, Lamar Alexander a présenté un projet de loi en ce sens. [3]

Des fermetures qui pourraient entraver les efforts pour lutter contre le changement climatique

Un cri d’alarme relayé par les industriels semble ainsi avoir été entendu. Selon Marvin Fertel, Président du Nuclear Energy Institute, qui s’exprimait lors d’une conférence sur l’énergie nucléaire le 19 mai dernier [4], les responsables de l’industrie nucléaire appellent à une action rapide du gouvernement pour rééquilibrer le marché de l’électricité. [5]
En effet, de nouvelles politiques de tarification de l’électricité sont nécessaires pour maintenir les centrales nucléaires en fonctionnement en assurant leur compétitivité par rapport au gaz naturel abondant et bon marché [6]. A l’heure actuelle, les coûts de production du secteur nucléaire ne sont pas en mesure de rivaliser avec ceux du gaz naturel. Certains exploitants nucléaires sont amenés à envisager la fermeture de leurs centrales du fait du prix de l’électricité très bas sur les marchés dérégulés, ce que l’Etat pourrait regretter au cours des trente prochaines années. De plus, remplacer les centrales nucléaires par des centrales à gaz naturel priverait le pays d’environ un quart des réductions d’émissions de carbone programmées dans le cadre du Clean Power Plan de l’administration américaine. Cette orientation conduirait aussi à se priver de 40% des réductions des émissions de gaz à effet de serre que les Etats-Unis se sont engagés à respecter lors de la COP21 en décembre 2015.
Afin de soutenir le parc nucléaire existant, le sénateur Cory Booker a abondé dans le sens des propos de Marvin Fertel en proposant d’adopter une loi qui prendrait en compte les émissions carbone pour permettre au nucléaire de rivaliser sur un pied d’égalité. Bill Mohl, président du fournisseur d’électricité Entergy a ajouté que si le gouvernement fédéral ne peut pas le faire, il reviendrait aux Etats de le mettre en place.
Le marché de l’électricité n’est pas parvenu à reconnaître les avantages de l’énergie nucléaire en tant qu’unique source de production d’électricité de base dépourvue d’émissions carbonées. A l’inverse, pour encourager la croissance de l’éolien et du solaire, le Congrès américain a consenti à ce secteur des subventions à hauteur de 30% en crédits d’impôt à la production. William Levis, président de PSEG Power, a rappelé lors de la conférence du 19 mai que les subventions aux énergies renouvelables ont été accordées à l’époque où le prix du gaz était élevé et où la demande en électricité augmentait à un rythme constant. Or les centrales nucléaires fournissent près de 20% des besoins en électricité des États-Unis, alors que l’éolien a couvert moins de 5% de ces besoins en 2015. Selon Marvin Fertel, ce n’est pas avant 2040 que l’éolien et le solaire pourront produire autant d’électricité que ne le fait le nucléaire aujourd’hui. De plus, les centrales nucléaires ont fonctionné à 92% de leur capacité en 2015, soit beaucoup plus que d’autres sources d’énergie électrique telles que l’éolien et le soleil, qui sont des sources intermittentes.
Sachant que la puissance d’un réacteur commercial typique est d’environ 1 GW, l’objectif national de réduction des émissions carbonées ne sera pas atteignable sans enrayer le rythme actuel des fermetures de centrales nucléaires.
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Un graphique tiré du rapport “Vision and Strategy for the Development and Deployment of Advanced Reactors" du DoE daté du 27 mai 2016. Les trois courbes bleue, rouge et verte représentent la projection de la capacité de production en GW du parc nucléaire américain actuel, pour trois différentes hypothèses d’extension de leur licence d’exploitation. La courbe en violet représente la capacité de production avec une capacité nucléaire doublée, qui permettrait de répondre à la demande croissante d’électricité pour les décennies à venir tout en se conformant aux accords de la COP21 sur la réduction des émissions carbonées (Crédits image - DoE)

L’innovation sur les réacteurs nucléaires est soutenue par les deux grands partis politiques américains

En réponse à Lamar Alexander, Ernest Moniz a précisé que l’intérêt récent des entrepreneurs dans le développement de nouveaux types de réacteurs a probablement été stimulé par la prise de conscience de la nécessité de "décarboner" le secteur de l’électricité pour lutter contre le changement climatique.
Selon Moniz, une façon pour le DoE de soutenir et d’accompagner les développeurs de nouvelles technologies de réacteurs est de leur faciliter l’accès à l’expertise et aux installations de recherche des laboratoires nationaux [7]. Il reconnaît que les Etats-Unis ne disposent pas pour autant de toutes les infrastructures de recherche nécessaires notamment dans le domaine des réacteurs à neutrons rapides. Toutefois, une législation en attente au Congrès appelle le DoE à “déterminer les besoins nécessaires à l’installation d’un réacteur polyvalent utilisant une source de neutrons rapides et qui fonctionnerait comme une installation nationale.” Ce projet de loi a déjà incité le DoE à charger son Nuclear Energy Advisory Committee d’évaluer les besoins quant à la construction de ce nouveau réacteur d’essai et d’en rendre compte en mars 2017 [8].
Deux projets de loi complémentaires sont en attente au Sénat, le “Nuclear Energy Innovation Capabilities Act” et le “Nuclear Energy Innovation and Modernization Act”. Ces deux projets de loi témoignent un regain d’intérêt bipartisan dans les réformes de l’énergie nucléaire entre l’administration Obama et un Congrès à majorité républicaine. En dépit de la suspension d’un des projets de loi par la Sénatrice Dianne Feinstein [9], au motif qu’il n’était pas assez explicite quant à la gestion des déchets radioactifs et des combustibles usés, les deux partis semblent optimistes pour l’adoption prochaine des deux textes. [10]

Inquiétudes autour de la gestion des déchets radioactifs

La membre du sous-comité Dianne Feinstein a exprimé son profond scepticisme sur la viabilité à long terme de l’énergie nucléaire en l’absence d’une solution concernant les déchets radioactifs. "Si nous ne pouvons pas stocker correctement les déchets, nous ne devrions pas construire de réacteurs," énonce la sénatrice, en rappelant l’accident radiologique qui a entraîné la fermeture en février 2014 du Waste Isolation Pilot Plant (WIPP) [11], un site de stockage de déchets radioactifs militaire situé à Los Alamos (Nouveau-Mexique) et seul site aux États-Unis de stockage définitif de déchets radioactifs à vie longue.
Le site, présenté par le DoE comme un exemple de sûreté jusqu’à l’accident de 2014, est situé à une profondeur de 640 mètres et possède une capacité de plusieurs centaines de milliers de fûts. Il s’agit du seul site de ce type sur le territoire américain après l’arrêt du projet Yucca Mountain (Nevada) [12], ayant vocation à stocker les combustibles usés mais qui a stoppé en 2011 par l’administration Obama.
Lamar Alexander et Dianne Feinstein ont proposé une législation permettant la création d’un site d’entreposage centralisé des combustibles usés en attende de l’élaboration d’une solution de stockage définitif, mais la Chambre des représentants s’est opposée à cette proposition en posant comme condition préalable la reprise du projet Yucca Mountain. Lors de cette audience, Lamar Alexander a dit qu’il soutiendrait le projet de Yucca Mountain en tant que site principal parce que « la science et la loi nous le dictent », tout en regrettant l’opposition de l’industrie nucléaire aux solutions d’entreposage intermédiaire des combustibles usés.
Malgré l’impasse au Congrès, le DoE a initié la mise en place d’une « consent-base approach » afin de réaliser la sélection des sites d’entreposage ou de stockage [13]. Le 15 septembre, le DoE a organisé un événement pour discuter des conclusions des huit réunions publiques tenues à travers les Etats-Unis en 2016 sur la définition de cette méthodologie et publié un premier rapport [14].

Conclusion

Si le gouvernement reconnaît le potentiel de l’énergie nucléaire pour satisfaire les objectifs de réduction des émissions de carbone, il semble aussi avoir la volonté de garder l’énergie nucléaire économiquement compétitive et de soutenir l’innovation nucléaire nationale. Mais face aux défis de l’industrie nucléaire et à la question épineuse de la gestion à long terme des déchets, il s’agit avant tout de sortir de l’impasse créée par l’arrêt de Yucca Mountain.
Le Président du Sous-comité Lamar Alexander a signalé que cette audience était la première des deux audiences que le Sous-comité tiendra sur le sujet. La prochaine audience, susceptible de se tenir en novembre ou début décembre, mettra l’accent sur les avancées en R & D qui sous-tendent le développement de réacteurs avancés et le processus d’autorisation de prolongation des licences d’exploitation des réacteurs en fonctionnement.
Pour en savoir plus sur l’énergie nucléaire aux Etats-Unis :
http://fr.franceintheus.org/IMG/pdf/l_energie_nucleaire_aux_etats-unis.pdf
https://www.france-science.org/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=4259

Rédacteur :
- Robin Faideau, Attaché adjoint pour la science et la technologie, deputy-phys@ambascience-usa.org

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