Aude Vidal
9 novembre 2016
Commentaire: (...) " Les territoires déjà sinistrés économiquement doivent encore faire face au coût sanitaire et environnemental de leur passé industriel.; Pas normal qu’après de telles nuisances l’usine ait pu fermer en quelques mois et se soustraire à ses responsabilités grâce à un montage juridique qui laisse ses pollutions orphelines " ; « Pas normal » qu'après avoir laissé dépérir pendant des années sa filiale nordiste tout en encaissant ses profits, le groupe européen ait coupé tous les liens avec elle, se défaussant de ses obligations en matière d’environnement. Pollueur, payeur ? Pas ici. L’État ramasse la note… mais choisit de ne pas la payer. Plus de douze ans plus tard, l’héritage toxique de Metaleurop donne lieu à des conflits renouvelés.; Reste à compenser la dévaluation des biens par des baisses de taxes.; Les pollutions qui demeurent se font beaucoup plus discrètes.; Ce pourrait être à terme la ligne à Très Haute Tension de 400.000 volts Avelin-Gravelle, mise en œuvre par RTE (Réseau de transport d'électricité) pour relier Arras au sud de Lille." (...).
Croyez-vous qu'il en sera différemment dans 20 ans quand les industriels éoliens quitteront nos territoires? Poser la question, c'est déjà y répondre. Devant cet avenir aux conséquences néfastes en terme de pollution, de santé publique et économique, ne laissons pas faire les "fossoyeurs" que sont nos gouvernants (EELV+PS), nos élus (e) locaux complices, les pro-éoliens et toute une partie de la population qui nous fait part chaque jour de son indifférence.
MOBILISONS-NOUS!
ZÉRO ÉOLIENNE et BEAUCOUP DE TOURISTES!
php
Le 16 janvier 2003 est annoncée
la fermeture du site de Metaleurop Nord. Treize années après, les
habitant.es et les travailleur.ses resté.es sur le carreau payent
toujours la note d'un désastre social et écologique. Les territoires
déjà sinistrés économiquement doivent encore faire face au coût
sanitaire et environnemental de leur passé industriel. Arsenic, bismuth,
cuivre, argent, mercure... Au-delà du catalogue des métaux lourds et
des substances toxiques, ce qui reste de Metaleurop, c'est l'amertume
d'une population délaissée par les pouvoirs publics.
Vendredi
4 décembre 2015, c’est la sainte Barbe, patronne des mineurs. Il fait
un franc soleil sur le bassin minier qui dresse ses chevalets, vestiges
du temps où le charbon extrait ici faisait gronder les machines,
réchauffait les maisons et obscurcissait les villes. Les chevalets,
points d’entrée de fosses depuis longtemps fermées, sont aujourd’hui
classés au patrimoine de l’Unesco. Petite fierté pour des habitant.es
dont beaucoup sont au chômage ou choisissent l’exil quotidien à une
trentaine de kilomètres, vers la métropole lilloise qu’ils rejoignent
dans des trains souvent en retard, parfois annulés, ou après avoir bravé
les embouteillages de l’autoroute A1.
Nous sommes à quelques heures de la clôture de la campagne électorale des régionales. Les caméras sont braquées pour quelques jours encore sur les cinq départements du nord de la France, à « risque FN » : Marine Le Pen pourrait se servir de son succès annoncé ici pour assurer sa résistible ascension. Les sondages, qui donnaient les trois « grands partis » dans un mouchoir de poche pendant l’été, montrent Le Pen désormais largement en tête en fin de campagne. À l’issue du premier tour, le renoncement du PS en faveur de Les Républicains prive la gauche de toute présence dans l’assemblée régionale mais empêche le FN d’empocher une « prime majoritaire » qui lui aurait permis de vaincre. Quelques semaines après, les élu.es frontistes enragent sur les bancs de l’hémicycle que la victoire leur ait été volée. La crainte d’une Marine Le Pen présidente de région est vite oubliée et le bassin minier peut de nouveau taire son désarroi… jusqu’aux élections suivantes ?
Nous sommes à quelques heures de la clôture de la campagne électorale des régionales. Les caméras sont braquées pour quelques jours encore sur les cinq départements du nord de la France, à « risque FN » : Marine Le Pen pourrait se servir de son succès annoncé ici pour assurer sa résistible ascension. Les sondages, qui donnaient les trois « grands partis » dans un mouchoir de poche pendant l’été, montrent Le Pen désormais largement en tête en fin de campagne. À l’issue du premier tour, le renoncement du PS en faveur de Les Républicains prive la gauche de toute présence dans l’assemblée régionale mais empêche le FN d’empocher une « prime majoritaire » qui lui aurait permis de vaincre. Quelques semaines après, les élu.es frontistes enragent sur les bancs de l’hémicycle que la victoire leur ait été volée. La crainte d’une Marine Le Pen présidente de région est vite oubliée et le bassin minier peut de nouveau taire son désarroi… jusqu’aux élections suivantes ?
La justice en friche
L’impression
d’être négligé.e est tenace dans ce coin du Pas-de-Calais, la sensation
de ne compter pour rien. Si l’injustice y est perçue comme commune,
inévitable, elle heurte néanmoins toujours le sens moral. Les
contre-coups de la fermeture en 2003 de Metaleurop Nord ne démontrent
pas le contraire. « Pas normal », c’est ce qui se répète autour de cette
usine de métaux non ferreux qui multiplia les records : leader mondial
de la production de zinc dans l’entre-deux-guerres, de la production de
germanium et d’indium dans les années 1970. À sa fermeture, c’est le
site industriel le plus pollué de France1.
« Pas normal » qu’après de telles nuisances l’usine ait pu fermer en
quelques mois et se soustraire à ses responsabilités grâce à un montage
juridique qui laisse ses pollutions orphelines. « Pas normal » qu'après
avoir laissé dépérir pendant des années sa filiale nordiste tout en
encaissant ses profits, le groupe européen ait coupé tous les liens avec
elle, se défaussant de ses obligations en matière d’environnement.
Pollueur, payeur ? Pas ici. L’État ramasse la note… mais choisit de ne
pas la payer. Plus de douze ans plus tard, l’héritage toxique de
Metaleurop donne lieu à des conflits renouvelés.
Écologistes et fondeurs, l’incompréhension
Rendez-vous
à Évin-Malmaison avec PIGE (Pour l’intérêt général des Évinois), jeune
association qui donne une nouvelle voix aux populations locales. Nous
sommes accueillies par Bruno Adolphi et Suzette, quinquagénaires
affables qui décrivent avec assurance le tableau des injustices subies
par eux-mêmes et leurs voisins.
Situé à l’ouest de l’usine Metaleurop, ce bourg de 4.500 habitants est sous les vents de l’ancienne usine et a amassé le plus gros des nuisances. En 2003, l’usine rejette encore 80 kg de poussières de plomb par jour. Ses fumées piquent les carrosseries des voitures et font mourir le bétail. Metaleurop consent à payer les coups de peinture pour éteindre les plaintes mais elle attend d’être condamnée avant d’indemniser un agriculteur de la commune. La responsabilité de mieux en mieux établie de l’entreprise sur ses nuisances et les normes de plus en plus sévères en matière de pollution ont probablement contribué au lâchage de l’usine par le groupe. La faute aux écologistes ? Le Comité de défense évinois, association active à partir de 1998 et qui ne survivra que quelques années à la fermeture de l’usine, subit alors les foudres des ouvriers attachés à leur emploi. Selon Jean-François Caron, maire EELV de Loos-en-Gohelle non loin de là, les logiques capitalistiques expliquent à elles seules la désindustrialisation de la région et cette fermeture. Néanmoins l'élu précise que « certains mouvements politiques [ont été] trop heureux de pouvoir nous faire porter le chapeau ». Jadis les ouvriers et les défenseurs de l’emploi accusaient les écologistes de vouloir faire fermer l’usine. Maintenant qu’il n’y a plus d’emploi sur le site, ce sont les habitant.es d’Évin qui reprochent aux ouvriers de ne pas avoir lutté plus tôt contre les nuisances : « C’était pas les plus malheureux, question salaire. On les achetait », rappelle Suzette. Hervé, un retraité que nous rencontrons sur le pas de sa porte, a passé sa vie active à la mine mais il a également travaillé à l’usine pendant quelques années. Il reste très droit, en pull malgré les températures, pendant qu’il nous livre son point de vue. Comme tant d’habitant.es locataires de logements modestes, il n’a pas souhaité adhérer à PIGE et renvoie tout le monde dos à dos en répétant qu’il est « trop tard » et que « c’était quand l’usine marchait qu’il fallait le faire ».
Situé à l’ouest de l’usine Metaleurop, ce bourg de 4.500 habitants est sous les vents de l’ancienne usine et a amassé le plus gros des nuisances. En 2003, l’usine rejette encore 80 kg de poussières de plomb par jour. Ses fumées piquent les carrosseries des voitures et font mourir le bétail. Metaleurop consent à payer les coups de peinture pour éteindre les plaintes mais elle attend d’être condamnée avant d’indemniser un agriculteur de la commune. La responsabilité de mieux en mieux établie de l’entreprise sur ses nuisances et les normes de plus en plus sévères en matière de pollution ont probablement contribué au lâchage de l’usine par le groupe. La faute aux écologistes ? Le Comité de défense évinois, association active à partir de 1998 et qui ne survivra que quelques années à la fermeture de l’usine, subit alors les foudres des ouvriers attachés à leur emploi. Selon Jean-François Caron, maire EELV de Loos-en-Gohelle non loin de là, les logiques capitalistiques expliquent à elles seules la désindustrialisation de la région et cette fermeture. Néanmoins l'élu précise que « certains mouvements politiques [ont été] trop heureux de pouvoir nous faire porter le chapeau ». Jadis les ouvriers et les défenseurs de l’emploi accusaient les écologistes de vouloir faire fermer l’usine. Maintenant qu’il n’y a plus d’emploi sur le site, ce sont les habitant.es d’Évin qui reprochent aux ouvriers de ne pas avoir lutté plus tôt contre les nuisances : « C’était pas les plus malheureux, question salaire. On les achetait », rappelle Suzette. Hervé, un retraité que nous rencontrons sur le pas de sa porte, a passé sa vie active à la mine mais il a également travaillé à l’usine pendant quelques années. Il reste très droit, en pull malgré les températures, pendant qu’il nous livre son point de vue. Comme tant d’habitant.es locataires de logements modestes, il n’a pas souhaité adhérer à PIGE et renvoie tout le monde dos à dos en répétant qu’il est « trop tard » et que « c’était quand l’usine marchait qu’il fallait le faire ».
Pollués payeurs
Avant
comme après la fermeture, aucune initiative associative n’aura eu autant
de succès que l’association PIGE, dont l’acronyme fait allusion au PIG
(projet d’intérêt général). Derrière ce nom évasif se trouve un
dispositif de gestion à la fois tatillon et négligeant des retombées
d’un siècle de pollutions à Évin-Malmaison. Bruno, le président, déploie
une carte dans la pièce que l’association partage dans des locaux
municipaux. En rouge le périmètre du PIG 1000, pour 1000 ppm de plomb et
200 de cadmium, couvre le cœur du bourg. En bleu, la couronne du PIG
500 signale des concentrations deux fois moindres. Tous les quatre ans
depuis 1997, le plan est révisé et ses marges sont redessinées. Mais que
cela ne laisse pas imaginer un monitoring de précision. À vrai dire,
pour savoir ce qu’on a sous les pieds, il faut payer soi-même les
analyses. Car ce dispositif réussit le tour de force d’être très
contraignant et de faire payer les frais aux seul.es habitant.es. Il est
interdit de construire dans cette zone et le décaissement des terrains
(fortement conseillé) est à la charge des propriétaires, de l’apport de
terres saines à la gestion de celles qui sont polluées. Lorsqu’en 2014
le PIG est étendu, c’est le ras-le-bol et l’association PIGE est créée
pour l’exprimer. 167 foyers adhèrent sur les 700 personnes situées dans
les deux périmètres. Elles reçoivent, contre toute attente, gain de
cause. La Voix du Nord n’en revient pas, loue les soutiens institutionnels, salue la « gageure » et le « travail acharné » des responsables associatifs et de leurs relais politiques2.
La plupart de leurs revendications ont été satisfaites : dépistage du
cadmium chez les adultes et du plomb chez les enfants, décaissement des
jardins en partie pris en charge, affinement du périmètre d’après les
analyses de chaque terrain, aux frais de l’État. Reste à compenser la
dévaluation des biens par des baisses de taxes. Mais les membres de
l’association ont la victoire amère au vu des problèmes de santé,
notamment du saturnisme et des retards psychomoteurs, qui demeurent dans
des proportions inédites. Pendant des années, ils ont été mis sur le
compte de l’alcoolisme ou du goût des enfants pour les écailles de
peinture. « On ne voulait pas mettre le nez dedans. C'était le bassin minier » nous dit Suzette, propriétaire d’une jolie maison située au cœur du PIG 1000. Elle témoigne de sa lassitude : « Autant nous raser, on ferme Évin-Malmaison, et on nous indemnise ».
Hervé
habite l’ancienne cité minière Cornuault. L'élégance des maisons,
construites dans les années 1950 pour loger les mineurs puis leurs
ayants-droits, lui donne des airs de cité balnéaire passée de mode. Le
retraité en veut à l'association : « Ils se battent pour l’argent, pas pour la santé ». Et de regretter son manque d’intérêt pour la situation des locataires, « tenus par la société
» LTO qui gère leurs logements. Entre les habitant.es des cités,
issu.es de classes populaires, et les membres plus aisés de PIGE,
l’incompréhension est de mise. On entend peu les habitant.es installé.es
de longue date pour trimer à la mine. Le chevalet de la fosse n°8 se
dresse encore au bout de la rue. À des métiers pénibles, en majeure
partie exercés par des hommes, à la mine ou à Metaleurop, ont succédé le
chômage ou une maigre retraite. De quoi faire aujourd'hui au niveau
municipal 17 % de chômage et 24 % de pauvreté, et bien plus dans les
cités. « Ils ne veulent pas bouger », dit-on du côté des propriétaires qui restent attiré.es par les atouts de ce gros bourg : « Ici on a tout, l’A1, l’A21, au niveau accès c’est l’idéal », explique Suzette.
Vivre avec la pollution, une idée d'avenir
À 25 km
de Lille, Évin-Malmaison offre des opportunités résidentielles un peu
moins chères que dans la Pévèle voisine, plus bucolique. Le périmètre du
PIG est inconstructible mais les cadres de la métropole continuent à
s'installer dans la commune. À quelques enjambées de là, en périphérie
du bourg, un lotissement est en construction. Il arrive que des
acheteur.ses, découvrant les niveaux locaux de pollution, changent
d’avis en cours de transaction, mais les potentielles acquéreurs sont
suffisamment nombreux pour contenter l'appétit des promoteurs.
La
consommation des légumes des 300 et quelques potagers de la bourgade
n’est pas recommandée ni pour autant interdite alors que, selon une
étude de 2011 du labo lillois ISA, elle constitue « une voie d’imprégnation non négligeable
» par les métaux présents dans les terrains. Qu’ils et elles habitent
les cités ou des pavillons plus cossus, les habitant.es cultivent leur
potager et rêvent de nature. Ça tombe bien, la « renaturation »
est l’une des pistes explorées par les autorités pour verdir la vie
évinoise. Derrière le SYMEVAD, nouveau centre de valorisation des
déchets entre Metaleurop et le bourg, serait installé un jardin
écologique. « Ils avaient deux ruches mais les abeilles sont mortes
», regrette Suzette quand nous passons devant. Plus loin, des roseaux
pompent le plomb des sols. Mais la piste de la « phytoremédiation »
n'est peut-être pas si prometteuse. Cela prendrait des siècles au vu des
niveaux de contamination actuels et il faudrait stocker les déchets
verts, contaminés à leur tour. Hervé esquisse un souhait : « Je voudrais voir des fleurs, des gens qui se re-promènent sur le plan d’eau et ailleurs
». Les fumées, du temps de l’usine, faisaient tousser et sentaient
mauvais. Les pollutions qui demeurent se font beaucoup plus discrètes.
Une population sans alternative
Au bord
du canal de la Haute-Deûle, une pelle mécanique décharge le contenu
d'une péniche au milieu des terrains vagues. Pas d'autre activité n'est
observable sur le quai de l'usine. L'endroit pourrait sembler paisible
sans la D160 qui longe le site. À moitié vivante, l'ancienne Metaleurop
Nord. À la fermeture, plusieurs activités, pas toujours pérennes, ont
pris le relais : un centre de désossement des carcasses de voitures qui a
fermé à son tour et une activité de traitement des déchets industriels,
Sita Agora, qui cause de nouvelles pollutions. Autour de la trentaine
d'hectares de l'ancienne usine, nous croisons des promeneurs.ses avec
leur chien ou à vélo malgré les camions qui encombrent la route étroite.
Jean-Luc, un quinquagénaire à l'allure tranquille, descend de son
biclou pour nous montrer la route de Noyelles-Godault. On s'attarde, il
nous raconte ses vingt ans de Metaleurop en tant qu'intérimaire, à la
fois dedans et dehors, comme 500 autres ouvriers. Bien intégré au milieu
des ouvriers de l'usine mais pas syndiqué, on l'appelait parfois deux
heures avant pour prendre son poste, une vraie variable d'ajustement. Et
il n'a pas touché un sou à la fermeture. Ce que tous les ouvriers ont
en partage, c'est des conditions de sécurité sordides qui ne
s'améliorent que lentement, au fil des luttes et des accidents, parfois
anodins comme les semelles des chaussures de sécurité fondant sur le sol
bouillant, parfois mortels comme lors de l'explosion d'un stock de
produits chimiques. « D'année en année, avec les accidents, ils serraient la vis côté sécurité et on mettait des masques ». Tous les deux mois, il effectuait des prises de sang et des analyses d'urine. Un emploi insalubre ? « C'est comme les mines, on n'avait pas le choix, faut travailler
». Depuis 2003, Jean-Luc a seulement travaillé un mois pour une mission
de nettoyage de l'usine et trois mois à Ikea. En comparaison de ces
douze ans de chômage, Metaleurop, « c'était bien », nous répète-t-il. « On était content d'aller travailler ». « Tout le monde était main dans la main ». Aujourd'hui « tout le monde devient con, les gens ne se côtoient plus, c'est chacun pour soi ».
La
France entière a découvert l'usine Metaleurop lors de l'annonce de sa
fermeture et des événements qui ont suivi, dont le chantage à la
pollution des fondeurs qui menaçaient de verser des produits toxiques
dans le canal. Cela fait plus de trente ans que les élus écologistes
suivent le dossier. Parmi ceux et celles dont le mandat a pris fin lors
des élections de décembre 2015, on trouve un avocat lillois qui a
défendu le comité d'entreprise de l'usine et un ancien objecteur de
croissance qui a effectué des prélèvements de terre – de nuit, pour
éviter la confrontation avec les ouvriers du site. « Ils avaient
peur de ce qu'on disait parce que les emplois risquaient de disparaître,
se rappelle Emmanuel Cau, ancien vice-président à l'environnement. Et
ensuite ils avaient peur parce qu'on leur parlait de risques sanitaires
et qu'ils craignaient que leur maison perde de sa valeur. Donc on n'a
jamais été bien vu ». L'impression d'une rencontre ratée entre les
écologistes s'intéressant au dossier et les personnes qui vivent ou
travaillent sur ce territoire désolé : « Ils étaient là, explique Bruno, mais pour les habitants ils étaient inexistants »
Le gigantisme énergétique ou la santé par-dessus la jambe
Entre deux autoroutes, l'ancien site de Metaleurop et la plate-forme logistique Delta 33,
il ne manquerait plus qu'un dernier aménagement pour finir d'enserrer
Évin-Malmaison. Ce pourrait être à terme la ligne à Très Haute Tension
de 400.000 volts Avelin-Gravelle, mise en œuvre par RTE (Réseau de
transport d'électricité) pour relier Arras au sud de Lille. Le « fuseau
de moindre impact » dévoilé en octobre 2014 s'est précisé et une enquête
publique a fini d'acter le projet début 2015. Malgré tous les
dispositifs de concertation, le refus se fait entendre du bassin minier à
la Pévèle et à l'Arrageois, deux territoires plus ruraux. Maurice
Piérard, un octogénaire que nous rencontrons dans sa maison bien tenue,
est devenu l'un des visages de cette opposition : 700 personnes pour une
chaîne humaine en 2014, un millier en octobre 2015. De nombreuses
associations locales dont celle qu'il anime, Leforest environnement 4 , se
fédèrent pour interpeller les autorités et plus particulièrement lors
des campagnes de 2015, départementales puis régionales. Elles contestent
le projet en raison de son gigantisme, alors qu'on observe une
décroissance de la consommation d'électricité. Mais la THT est
l'appendice du réacteur EPR, en construction en Normandie, et cette
trentaine de kilomètres s'inscrit dans une ligne entre cette centrale et
la Belgique. Les opposants n'imaginent pas que le gouvernement, qui
s'acharne à soutenir l'EPR en dépit d'une explosion des coûts (son
budget est passé de 3 à 9 milliards d'euros), cède sur ce petit maillon
de l'industrie électro-nucléaire. « Il y a un secteur très impacté entre Évin et Leforest , précise Maurice. Il n'y a pas d'autre place pour placer la ligne
». Un moindre mal serait l'enfouissement de la ligne mais, qu'il soit
faisable ou non vu l'intensité du voltage, il est jugé trop coûteux par
RTE. « La santé publique, ça leur passe au-dessus », proteste
le militant. Il voit pourtant dans les premières condamnations de
l'entreprise, sommée d'indemniser des éleveurs pour le préjudice de la
haute tension sur leurs troupeaux, un encouragement à cesser de
construire ces THT surdimensionnées.
L'échec
cuisant des écologistes, qui n'ont pas passé le cap des 5 % aux
régionales, ne rend pas moins prégnantes les questions environnementales
en Nord-Pas de Calais. Simplement, dans cette région très vite et très
fortement industrialisée, elles s'expriment dans la population sous la
forme de questions de santé. La région concentre 13 % des sites pollués
de France et fait l'objet d'une « attention toute particulière »
de la part de la DREAL (Direction régionale de l'environnement) qui
opère dans le cadre de plans régionaux santé environnement avec l'Agence
régionale de santé et le Conseil régional. La nouvelle super-région,
issue de la fusion du Nord-Pas de Calais et de la Picardie, compte 6
millions d'habitant.es au PIB parmi les moins élevés de France. Au-delà
de leurs difficultés économiques, elles cumulent d'autres handicaps dont
font état les « indicateurs de santé sociale »5
que sont l'accès à l'éducation, les inégalités et une espérance de vie
plus faible qu'ailleurs, qui tient notamment aux pollutions diverses.
Tenu.es
par la difficulté de trouver à louer ailleurs ou par leurs propriétés
dévaluées, qu'ils et elles se taisent ou revendiquent, les habitant.es
d'Évin-Malmaison ont conscience de vivre au milieu des nuisances.
Impuissance des discours écologistes, impuissance de l’État à faire
endosser à Metaleurop ses responsabilités, sentiment d’abandon et
d’injustice… le 6 décembre 2015, 804 d'entre eux ont donné leur voix à
Marine Le Pen, soit 51,57 %. Et une centaine de plus au second tour. À
côté de gouvernants qui restent sourds, le FN fait mine de tendre
l'oreille. Qui donc souhaite entendre le silence des résigné.es ?
Photos : Marine Vial
1. «
La zone à dépolluer est évaluée à 45 km². Environ 60 000 habitants sont
concernés. », dans « Metaleurop. La dépollution impossible », Haydée
Sabéran, Libération, 28 janvier 2003.
2. « Évin-Malmaison : le combat exemplaire de l'association PIG Metaleurop donne des résultats », La Voix du Nord, 21 novembre 2015.
3. « Delta 3 : dans l'enfer du capitalisme logistique », La Brique n°45, automne 2015.
4. « Leforest : Maurice Piérard a fait un rêve... où la ligne THT n'avait pas sa place », La Voix du Nord, 16 janvier 2015.
5. Des indicateurs étudiés par l'équipe d'économistes lillois qui travaillent autour de Jean Gadrey et de Florence Jany-Catrice.
2. « Évin-Malmaison : le combat exemplaire de l'association PIG Metaleurop donne des résultats », La Voix du Nord, 21 novembre 2015.
3. « Delta 3 : dans l'enfer du capitalisme logistique », La Brique n°45, automne 2015.
4. « Leforest : Maurice Piérard a fait un rêve... où la ligne THT n'avait pas sa place », La Voix du Nord, 16 janvier 2015.
5. Des indicateurs étudiés par l'équipe d'économistes lillois qui travaillent autour de Jean Gadrey et de Florence Jany-Catrice.
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