Pourquoi Le Nucléaire – Bertrand Barré, DeBoeck Supérieur, 2017

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 Jean-Marc Jancovici
 04/03/2017




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Barre Bertrand, Pourquoi le Nucléaire, éditions DeBoeck Supérieur, 2017
(176 pages, 12,9€, tous publics)


Le texte ci-dessous constitue la préface à un ouvrage de vulgarisation sur le nucléaire, rédigé par un homme qui y a consacré toute sa vie professionnelle. Que l’on souhaite s’en passer, en avoir toujours autant, ou en avoir plus (tous ces points de vue existant dans les divers pays du monde), on peut se dire qu’il est préférable que cette décision se fasse en ayant un minimum compris les processus techniques et les ordres de grandeur sous-jacents.

C’est l’ambition, démesurée ou raisonnable, de ce petit livre, pour lequel l’auteur, que je connais depuis 15 ans, m’a demandé de rédiger la préface. Dont acte !

Préface
Faire de la pédagogie sur le nucléaire ? En voilà bien une idée ! Vouloir faire comprendre l’atome, n’est-ce pas aussi vain que de vouloir justifier l’intolérance ou le racisme ? Si cette forme d’énergie doit appartenir au passé le plus vite possible, ce qui est bien le sens des décisions allemandes et françaises des dix dernières années, à quoi bon perdre du temps à expliquer une énergie dont il faut de toute façon se passer dès que possible ?

Car la barque est lourdement chargée : les déchets vont durer cent mille ans ; toute centrale peut potentiellement donner lieu à un accident rendant les alentours inhabitables pour des siècles ; personne ne sait démanteler correctement ces installations que nous allons avoir sur les bras pour l’éternité ; s’approvisionner en combustible demande de s’acoquiner avec des pays non démocratiques qui maltraitent leurs mineurs ; il n’y a de toute façon pas assez d’uranium pour utiliser cette forme de production très longtemps, et pour couronner le tout les renouvelables sont déjà plus compétitives que le nucléaire, alors qu’elles ne présentent que des avantages, donc la messe est dite.
Fermez le ban !

Certes, tout ce qui précède comporte une part de vérité. Mais, comme pour tout sujet conflictuel, c’est justement la partie non dite qui est souvent la plus importante. En effet, celui qui avance un argument contre se gardera bien d’y ajouter tout complément qui l’affaiblit, voire l’infirme.

Il est par exemple fréquent d’expliquer que la France est dans l’erreur avec son nucléaire, et qu’aucun autre pays ne songe à nous imiter. Mais notre pays ne détient aucune des médailles qui irait logiquement avec cette affirmation : nous ne sommes ni les premiers producteurs de kWh nucléaires au monde (cette médaille là va aux américains), ni les premiers consommateurs d’électricité nucléaire par personne au monde (là ce sont les Suédois qui gagnent), ni les exploitants des plus vieilles centrales au monde (les Suisses font mieux que nous), ni les premiers à vouloir enfouir nos déchets dans le sous-sol (à nouveau les Suédois le font déjà)…

Les EPR en construction en Finlande et en France voient leur cout déraper ? Mais ce n’est pas le cas de ceux en construction en Chine (dont presque personne en France n’entend parler), et surtout nous oublions facilement que les ouvrages nouveaux sont très rares à tenir leur budget ! Le tunnel sous la Manche a couté 5 fois son budget initial, et la Tour Eiffel 2,5 fois le sien, mais qui affirmerait aujourd’hui qu’il aurait mieux valu ne pas les construire ?

Et même dans l’énergie, les dépassements sur ces réacteurs restent de petits joueurs à côté de ce qui peut se voir dans le monde du pétrole. Ainsi, le gisement pétrolier de Kashagan, sur la Caspienne, devait être mis en production pour 6 milliards de dollars. Il aura fallu en dépenser 50 pour voir les premiers barils sortir !

Plus étonnant encore : via certaines de leurs institutions spécialisées, les Nations Unies ont attiré notre attention sur nombre de problèmes environnementaux majeurs. Le changement climatique vient à l’esprit en premier (l’agence onusienne correspondante est le GIEC), mais l’Organisation Météorologique Mondiale a révélé le « trou dans la couche d’ozone », et l’érosion de la biodiversité a conduit à la création de l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services).

Les Nations Unies se sont aussi occupées de radioactivité. Cela s’est fait en créant, en 1955, soit trente ans avant le GIEC, l’UNSCEAR (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation). Cette agence a bien évidemment évalué les conséquences de Fukushima ou Tchernobyl, avec les mêmes méthodes que celles utilisées par le GIEC (synthèse de ce qui a été publié dans les revues scientifiques à comité de lecture). Mais… leurs conclusions ne recoupent pas du tout les propos tenus sur les ondes françaises par les militants antinucléaires, qui n’ont jamais cité cet organisme !

Difficile, évidemment, pour le citoyen de bonne foi de comprendre à quel saint se vouer. Pourtant, ici comme ailleurs, le plus simple n’est-il pas de commencer par se renseigner auprès des hommes de l’art ? Impossible ! Peut-on accorder sa confiance à ceux qui, toute leur vie durant, ont été payés par l’affreux lobby nucléaire ? Cet argument, souvent entendu, qu’il serait impossible d’être de bonne foi quand on est à l’intérieur du système, et que seuls les « indépendants » seraient crédibles, est pourtant l’exact inverse de la règle que nous appliquons à peu près partout ailleurs.

Quand on veut être sûr de réussir une recette de cuisine, notre premier réflexe n’est-il pas de faire confiance à celles et ceux dont c’est le métier, ou à tout le moins l’expérience ? Quand on veut être sûr d’avoir de belles roses dans son jardin, n’est-ce pas les conseils d’un jardiner confirmé que nous allons rechercher ? Qui a déjà entendu parler d’un cuisinier ou d’un jardinier « indépendant » ? Et, si nous nous rapprochons de l’industrie, n’est-ce pas d’abord aux personnes qui conçoivent et fabriquent des voitures et des avions que nous demandons comment ces engins fonctionnent ?

Nous pourrions ne pas leur faire confiance au motif que de temps en temps un avion s’écrase, ou qu’une voiture tue ses occupants. Mais non, nous ne raisonnons pas de la sorte : ce sont bien les gens qui sont le plus fréquemment au contact de la technique qui sont considérés comme les mieux placés pour l’expliquer, à condition, évidemment, qu’ils soient suffisamment pédagogues pour cela. Nous ne les réfutons pas d’entrée de jeu au motif que les avions comme les voitures contribuent aux émissions de gaz à effet de serre qui « détraquent » le climat, ou que les avionneurs font à la fois des avions civils et des avions qui servent à tuer des gens, ou encore que de construire des avions ou des voitures ne peut se faire sans activités minières partout, y compris dans des pays et dans des conditions environnementales et sociales que nous réprouvons tout à fait.

Nous faisons généralement l’effort, dans ces domaines comme dans bien d’autres, de dissocier le jugement moral sur l’utilisation de la technique, de la connaissance technique (ou économique) elle-même. Alors, en matière de nucléaire, pourquoi ne pas faire de même ? Peut-être que, une fois que le lecteur aura compris sur le bout des doigts de quoi il retourne pour cette énergie, sa conclusion sera effectivement qu’il faut s’en passer avant toute autre forme de production électrique. Mais, à ce moment là, nous aurons affaire à un jugement éclairé, éminemment respectable. Ce qu’il faut surtout éviter, c’est que ce soit l’ignorance qui serve de matière première à nos décisions. L’enfer est peut-être pavé de bonnes intentions, mais il est encore plus sûrement pavé de malentendus !

La lutte contre le changement climatique impose que d’ici à 2050 – l’espace d’une génération seulement – la totalité des centrales à charbon mondiales – il y en a 30 fois plus que de réacteurs nucléaires en France – ait disparu. Se priver du nucléaire pour y arriver rend le pari parfaitement impossible à tenir. Alors, avant de rejeter cette marge de manœuvre, acceptez qu’un expert de bonne volonté vous en explique les contours, ce que l’on peut en attendre et avec quelles contreparties !

Pour comprendre avec un homme de l’art, ne le choisissez cependant pas au hasard. Prenez le avec un peu d’expérience, cela aide pour avoir fait le tour de la question. Soyez certain qu’il ait un minimum de pédagogie : il en faut pour rendre digestes des explications techniques qui sinon resteront hermétiques. Il lui faudra aussi de la patience et de la disponibilité (on ne comprend pas toujours du premier coup), et par-dessus tout le respect de son interlocuteur, qui a le droit de poser toutes sortes de questions, mêmes les plus déconcertantes en apparence.

Il y a tout cela dans l’auteur de ce livre. Côté carrière, Bertrand a notamment été directeur des réacteurs nucléaires au CEA, ce qui serait un peu l’équivalent d’un directeur de la recherche au sein d’un grand groupe industriel. Pour avoir une connaissance large des techniques du secteur, des réalisations existantes dans le monde, et des retours d’expérience de toute nature (les agréables comme les désagréables), c’est en général le meilleur poste d’observation.

Bertrand a aussi occupé travaillé de nombreuses années à l’étranger (aux USA ou en Grande Bretagne), ce qui a nécessairement renforcé son aptitude à se faire comprendre avec toute sorte de public. Apprendre à surmonter les barrières culturelles, c’est excellent pour la pédagogie !

Et, du reste, la pédagogie a été une motivation constante de Bertrand depuis que je l’ai rencontré, au début des années 2000. Je l’ai toujours vu accepter de bon cœur, pourvu qu’il en ait le temps, toute occasion d’aller expliquer son univers à un public désireux d’apprendre, y compris – voire surtout ? – ceux qui n’étaient pas acquis d’avance. Je l’ai ainsi amené à se frotter, 10 années de suite, à un public de rédacteurs en chef, dans le cadre d’un séminaire de 3 jours sur l’énergie que Jean-Louis Caffier et moi avons fondé en 2006. Grâce à sa patience et à son souci de s’améliorer en permanence, il est probable que Bertrand ait un tout petit peu contribué à pacifier les relations de la presse française avec le nucléaire.

Ami lecteur, vous êtes entre de bonnes mains, et c’est en confiance qu’il faut aborder les pages de ce livre. Et j’espère que, lecture faite, vous serez heureux d’avoir remplacé, pour partie, l’angoisse, la méfiance ou l’incrédulité par la compréhension, et donc un peu plus de sérénité.

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