Romain Gary: la nuit sera calme / fin

Ce livre est une longue suite d'un entretien fictif avec François Bondy (avec son accord), ami d'enfance de l'auteur, narrant les années où Romain Gary servait dans les Forces françaises libres puis ses débuts dans la carrière diplomatique. Romain Gary est l'auteur qui pose les questions et qui apporte les réponses.

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"J'appelle donc société de provocation une société qui laisse une marge entre les richesses dont elle dispose et qu'elle exalte par le strip-tease publicitaire, par l'exhibitionnisme du train de vie, par la sommation à acheter et la psychose de la possession, et les moyens qu'elle donne aux masses intérieures ou extérieures de satisfaire non seulement les besoins artificiellement créés, mais encore et surtout les besoins les plus élémentaires."
Chien blanc, publié le 20 mars 1970, aux éditions Gallimard.




Extrait
(...) «Je n'ai pas une goutte de sang français mais la France coule dans mes veines», aime rappeler Romain Gary.

«Pendant des milliers d'années, les machos, pas du tout sûrs de leurs moyens, se sont appliqués à convaincre les femmes qu'elles ne doivent pas jouir, que c'est le contraire de la féminité. [...]. Les hommes, bon, ce n'est pas leur faute, les pauvres! La nature a fait qu'ils ne peuvent pas féconder sans jouir avant… […]. On a beau être un vrai, un dur et un velu, des fois, on baise très mal, ça fait pschitt! Tout de suite, ça part, trente secondes, deux minutes, et voilà notre géant au bout de ses peines. Le nombre de vrais durs qui ne durent pas, ça vaut largement le nombre de femmes frigides.

 
 […]. Au temps des tournois et des croisades, on avait beau être un chevalier très fort avec son épée, on était parfois beaucoup moins fort avec son zizi. Alors, aidés par l'Église et la morale, on a fait régner encore plus la convention selon laquelle une femme, c'est seulement pour le repos du guerrier. […]. C'est le machismo castrateur à l'état pur, à l'état de merde, et je citerai ici le macho Jack London, père spirituel d'Hemingway et de toute la tradition américaine de la virilité, qui a marqué profondément la littérature américaine depuis cinquante ans. Jack London vient de tirer un coup. Et voilà ce qu'il écrit : «Mes instincts les plus naturellement sauvages se donnent libre cours. Je peux être cruel ou tendre selon mon bon plaisir. Qu'est-ce qu'un homme peut désirer de plus. Il y a là un sentiment de maîtrise…» Voilà; Voilà de quoi est sortie la littérature du machismo américain. Il tire un coup, ce maître-homme, et puis s'en va, fier comme Artaban, «avec un sentiment de maîtrise», et la femme, cette humble servante, on n'en parle même pas. Ce «tiens, prends ça!» a duré pendant des millénaires. Et puis, il s'est passé quelque chose de particulièrement typique, dans le genre «humain» : les femmes ont été persuadées. Elles ont été persuadées, comme les Juifs du ghetto, à qui on a répété pendant des siècles qu'ils étaient sans honneur, et qui ont été persuadés au point de changer physique et d'acquérir un air humble, coupable, et une colonne vertébrale déformée —c'est un fait historique— à force de courber le dos. Les Juifs, auxquels on a imposé des vêtements distinctifs pour les «inférioriser», mais qu'ils ont fini par adopter si bien que les Juifs orthodoxes les portent encore …et refusent de les quitter, en Israël. C'est ce qui s'est passé avec les femmes. […]. Cela se voit en ce moment à propos de l'avortement. Si tu regardes les études et les statistiques, tu vois que la plupart des mères de familles nombreuses sont à fond contre l'avortement. Elles en ont bavé, elles ont élevé sept ou huit enfants à la sueur de leur front, elles ont tout sacrifié à la maternité, alors, quand elles voient d'autres femmes qui veulent y échapper, elles sont indignées, elles ne peuvent pas l'admettre.[…]. Le macho rentre chez lui, il a fait la guerre, «les héros sont fatigués» —et ils le sont souvent, même quand ils ne sont pas des héros— il veut se défouler pour dormir, alors, il dégage sa limace et tu parles de caresses, de tendresse, d'affectivité… […]».

«Disons plutôt que je vis avec Miss Solitude et je m'y attache un peu trop, c'est vrai, ce serait un peu triste de prendre le pli, je n'aime pas les plis… Les deux dernières, les Miss Solitude 1972 et 1973, ont été de vraies reines de beauté dans le genre personne… Mes deux chats Bippo et Bruno sont morts, et notre vieux Sandy —celui à qui j'ai dédié Chien Blanc— a choisi de vivre avec Jean Seberg, après mûre réflexion. […]. Parfois une secouriste vient me faire du bouche à bouche et puis me quitte parce que les femmes n'aiment pas tellement les adolescents… Mon fils monte me voir tous les jours pour voir si j'existe vraiment et comme je l'adore, je ne sais pas lui parler, il a onze ans et il m'intimide… […]. Mais il y a de bons moments. En novembre dernier, je me suis cassé la gueule, on m'a transporté à la Salpêtrière, service des urgences… Qu'est-ce que j'ai eu comme droit à l'attention, aux petits soins, à l'affection! Deux médecins, deux infirmières, du cousu main, de la gentillesse… Je ne voulais plus m'en aller. […]. Je rêve encore de tomber amoureux, mais ce qu'on appelle tomber!… Seulement à soixante ans, c'est très difficile, à cause du manque d'espace, d'horizon devant soi… Ça manque de large, maintenant, on ne peut plus s'élancer… L'amour, ça va très mal avec les restrictions, les limites, avec le temps qui t'est compté, il faut croire qu'on a toute la vie devant soi pour s'élancer vraiment…».

«Je n'ai pas assez écrit et je crois que je n'ai pas su aimer. La Mort? Très surfait. On devrait essayer de trouver autre chose. Heureux? Non… Si. Je ne sais pas. Entre les gouttes. […]. Qu'est-ce que c'était le bonheur? C'est lorsque j'étais couché, j'écoutais, je guettais, et puis j'entendais la clé dans la serrure, la porte qui se refermait, j'entendais les paquets qu'elle ouvrait à la cuisine, elle m'appelait pour savoir si j'étais là, je ne disais rien, je souriais, j'attendais, j'étais heureux, ça ronronnait à l'intérieur… Je me souviens très bien. Et pour conclure? La nuit sera calme».(...)

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