2050 : le mirage du tout-renouvelable

Par Sylvestre Huet
16 décembre 2015

Commentaire : Pour qui et pour quoi l'Ademe "roule" pour le 100% d' ENR?
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 Championne du nucléaire, la France produit déjà une électricité décarbonée à près de 95 %.
Championne du nucléaire, la France produit déjà une électricité décarbonée à près de 95 %. Photo Joe Klamar. AFP 


Un rapport de l’Ademe affirme qu’il sera possible, en France d’ici à trente-cinq ans, de garantir tous nos besoins en électricité avec le solaire, l’éolien… Les données utilisées invitent pourtant à la prudence.

2050 : Le mirage du tout-renouvelable
Après la COP 21, de nombreux commentaires ont présenté l’accord de Paris comme pavant «le chemin pour les énergies renouvelables». Il est certain qu’elles vont connaître une croissance vigoureuse, l’Inde prévoyant ainsi de multiplier par 25 ses panneaux solaires. Pour la France, la question se pose de manière différente puisque son système électrique est déjà décarboné à 95 %. Peut-on produire l’électricité dont nous avons besoin sans bousculer le climat, mais sans utiliser l’énergie nucléaire ? Cette question turlupine tous les citoyens qui admettent la nécessité d’un jus sans CO2 mais refusent d’utiliser le nucléaire, craignant le risque d’accident avec une fuite massive de radioactivité. Aussi, nombre de militants écologistes se sont réjouis d’entendre des responsables politiques ou des dirigeants d’associations leur dire qu’un rapport de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) montrait que la France métropolitaine peut s’alimenter en énergies 100 % renouvelables (EnR) à l’horizon 2050. Testons-le.

Quelle est l’hypothèse testée ?
En 2050, la France est couverte de 50 000 éoliennes (à terre et en mer), de 500 km² de centrales solaires au sol, de dizaines de milliers de toits équipés en panneaux photovoltaïques. De systèmes utilisant l’énergie des vagues, d’usines produisant du méthane à stocker à partir d’électricité excédentaire et de centrales utilisant ce gaz pour produire du jus. De capacités de stockage d’énergie sous forme de méthane, de cavernes d’air comprimé et d’électricité avec des parcs de batteries, de stations de pompage alimentant des barrages. Le tout pour une puissance totale stockée de 36 GW (plus de la moitié de la puissance du parc nucléaire actuel).
Les consommateurs sont massivement équipés de dispositifs permettant de piloter les systèmes électriques domestiques (couper les radiateurs, les lave-vaisselle ou sèche-linge, les recharges des batteries de voiture aux heures de pointe). Les industriels utilisent largement les dispositifs «d’effacement» pour limiter les pointes de consommation.
Les connexions du réseau à haute tension sont renforcées aux frontières pour permettre jusqu’à 16 GW d’importation (le double de l’actuel). Et entre les régions pour gérer des flux d’électricité variables au gré de la météo. Les bâtiments sont équipés de pompes à chaleur fonctionnant à l’électricité et la France compte des millions de véhicules électriques. Le parc de production que l’Agence de l’environnement propose, comporte un total d’EnR de 196 GW (dont 106,5 GW d’éolien, et 63 GW de solaire) plus 16,8 GW de centrales à gaz. Donc 213 GW en tout.

Le système est-il résilient au climat ?
Le cœur de l’étude consiste en une modélisation du système (due à la société Artelys) confrontée à six années différentes au plan météorologique avec un pas de temps horaire. Une météo qui joue sur la production éolienne, solaire et hydraulique et sur la demande. L’étude teste en outre une année avec une vague de froid de deux semaines, similaire à celle de février 2012, et une année sèche avec une baisse de 30 % de la production hydraulique. Une «méthodologie a priori robuste», indique Michel Bena, directeur des réseaux à RTE (filiale d’EDF qui gère le réseau haute tension). Toutefois, les paramètres retenus posent question. La période froide simulée, celle de février 2012, est beaucoup trop douce pour tester la résilience du système électrique. Météo France souligne qu’elle vient très loin derrière celles de 1985 ou 1987 en durée et en intensité. Puisque le système projeté ne passe cette vague de 2012 que de justesse, avec des importations massives (16 GW), il ne passe pas celle de 1987 et encore moins celle de 1985. Sans parler des hivers très froids de 1956 ou 1963.
«Lorsque RTE effectue ce type d’exercice, explique Michel Bena, une centaine d’années météorologiques sont testées, pour balayer la variabilité météo de manière plus réaliste. Puis, l’objectif est d’obtenir un risque de pénurie de moins de trois heures par an en moyenne. Si ce critère est dépassé, alors RTE alerte les pouvoirs publics de ce risque afin que des décisions soient prises pour le réduire, par des moyens de production supplémentaires ou des réductions de la demande.» Le choix de ne tester le système projeté que pour un aléa météo modéré jette une ombre sur la robustesse de l’exercice. Il est troublant de comparer les 213 GW de puissance totale du parc de production de l’étude de l’Ademe aux 550 GW envisagés outre-Rhin dans une étude similaire du Fraunhofer Institute. Il est vrai que les Allemands intègrent à leur parc 95 GW de centrales à gaz - soit plus que le parc nucléaire français - afin de passer le cap des périodes sans vent ni soleil de manière sûre, au lieu de parier sur des capacités de stockage de très grandes tailles.

La fréquence du courant est-elle garantie ?
Equilibrer la consommation et la production sur la durée ne suffit pas, il faut assurer également la stabilité de la fréquence du courant alternatif à 50 hertz. Si la tension est trop haute, cela use prématurément toute l’électrotechnique du réseau ou les câbles. A plus de 10 %, on risque carrément le claquage des câbles. Si c’est trop bas, ce sont les moteurs électriques des consommateurs qui souffrent. Et une trop basse tension fait sauter tout le réseau, comme le 12 janvier 1987 en France. Or, d’où provient la stabilité en fréquence des systèmes actuels ? «Des grosses machines tournantes à vitesse fixe (alternateurs des centrales nucléaires et thermiques ainsi que des barrages), qui sont reliées au réseau via une électronique de puissance qui crée la fréquence, explique Michel Bena. C’est leur inertie qui permet au système d’encaisser les à-coups et de les amortir. Or, un système 100 % renouvelable n’aura que très peu de ces grosses machines et dépendra complètement de l’électronique de puissance. Mais cette dernière n’a pas d’inertie et risque au contraire d’amplifier les problèmes et de les faire dégénérer. Pour gérer ce risque, il faut des moyens de pilotage du réseau très différents de ce que nous savons faire. C’est pour cela que nos études montrent que si nous pouvons espérer gérer à un coût raisonnable l’introduction de 30 % d’éolien et de solaire dans le système, au-delà de 40 % c’est l’inconnu en technologies et en coûts.»
Aujourd’hui, précise Bena, lorsque la météo permet l’introduction massive d’électricité éolienne et solaire par l’Allemagne ou le Danemark dans le réseau européen - qui fonctionne techniquement comme une seule plaque électrique gérée par ENTSO-E, l’association des responsables de chaque pays comme RTE - cela n’est possible que grâce à la stabilisation réalisée par les grosses centrales des pays voisins. Mais, remarque-t-il, «si tout le monde compte sur le voisin pour stabiliser le système, cela ne peut pas fonctionner».

La production visée suffit-elle ?
L’ Ademe se fonde sur des consommateurs et une économie française qui, en 2050, ont besoin pour une année météorologique moyenne de 422 TWh. Alors que la France métropolitaine sera passée, selon les dernières projections de l’Institut national d’études démographiques (Ined), de 64,3 à 72 millions d’habitants. Que des millions de véhicules électriques sont censés circuler à cette échéance afin de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre, notre dépendance énergétique et la pollution des villes. Que les bâtiments utiliseront des pompes à chaleur pour économiser le gaz. Que les gouvernements promettent une politique permettant de relancer l’industrie afin de diminuer chômage et importations… Avec 8 millions d’habitants de moins que ceux prévus en 2050, la consommation des dix dernières années varie de 465 TWh en 2014 à 513,1 TWh en 2010, selon les bilans électriques de RTE. L’hypothèse de l’Ademe suppose donc un bond considérable dans l’efficacité énergétique.

Un prix connu ?
«L’étude réalise une analyse de différents mix électriques optimaux à un horizon lointain sans prendre en compte l’existant. Elle ne s’intéresse donc pas à la trajectoire d’investissement permettant d’assurer une transition entre le système électrique actuel et les mix étudiés», indique le rapport. «Les mix électriques envisagés restent en effet théoriques, puisqu’ils sont construits ex nihilo, et ne prennent pas en compte la situation actuelle, ni le scénario pour arriver au résultat», précise le président de l’Ademe, Bruno Lechevin.
Les hypothèses de prix du rapport sont incertaines par nature puisqu’elles se projettent dans trente-cinq ans. Il est donc très imprudent de les considérer comme un calcul technico-économique susceptible de soutenir une programmation de long terme. Surtout que leur conclusion très optimiste - le système électrique 100 % EnR ne présenterait pas de surcoût par rapport à l’actuel - est fortement contredite par l’expérience actuelle. En 2015, pour la France qui compte 10 000 MW d’éolien et près de 6 000 MW de solaire, la subvention coûte 3,5 milliards d’euros, prélevés sur les factures des consommateurs par la Contribution au service public de l’électricité (CSPE) fixée par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Les Allemands payent leur électricité, pour les consommateurs domestiques et les PME, deux fois plus cher que les Français, en raison de ces subventions de près de 20 milliards d’euros par an. 

Pourquoi viser un mix 100 % renouvelable ?
Pour limiter le risque du changement climatique ? Certainement pas. Il ne ferait sans doute pas mieux que l’actuel. Avec sa production électrique fondée sur le nucléaire et l’hydraulique, la France produit une électricité décarbonée à près de 95 % en 2014, avec 77 % de nucléaire, 12,6 % d’hydraulique, 3,1 % d’éolien et 1,1 % de photovoltaïque. C’est la raison principale de l’écart considérable des émissions de CO2 dues à l’énergie avec l’Allemagne : 5,52 tonnes par habitant et par an en France, 9,32 en Allemagne, selon des chiffres de 2012 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). D’où proviennent ces émissions ? En 2013, l’Allemagne a importé 76 milliards de mètres cube de gaz, 93 millions de tonnes de pétrole et brûlé 241 millions de tonnes de charbon dont 191 millions produites dans le pays. La même année, la France a importé 43 milliards de mètres cube de gaz, 57 millions de tonnes de pétrole et 19 millions de tonnes de charbon. Hors effet démographie, la différence entre les deux pays tient surtout au charbon et au gaz utilisés pour générer de l’électricité.

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